Les femmes vivent généralement quelques années de plus que les hommes, un avantage qui subsiste en temps de crise, selon une nouvelle étude danoise. Cela signifie qu'il a probablement des causes biologiques.

MORTALITÉ

Dans les pays industrialisés, l'écart entre l'âge de la mort des femmes et celui des hommes varie entre deux et quatre ans. « Je m'intéresse à cet écart de survie depuis le début de ma carrière », explique l'auteure principale de l'étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, Virginia Zarulli, de l'Université du Danemark du Sud. « L'écart existe dans tous les pays, quel que soit le niveau de développement. Il subsiste même quand on tente d'exclure la tendance des hommes à prendre plus de risques, par exemple si on compare des non-fumeurs avec des non-fumeuses, ou alors des mormons avec des mormones, qui ne boivent pas d'alcool. La grande question qu'on se pose, c'est à quel point il s'agit d'un écart culturel universel, tout comme le fait que les femmes gagnent souvent un salaire moins élevé. »

CRISES

Étudier l'espérance de vie en temps de crise permet de diminuer l'influence de la culture. « Dans une catastrophe, par exemple une famine catastrophique ou une situation d'esclavage, les normes culturelles normales disparaissent, dit la démographe d'origine florentine. C'est en quelque sorte une expérience de laboratoire en plein air. Le problème, c'est qu'en temps de crise, les institutions périclitent aussi, alors il est difficile d'avoir des données probantes. Nous avons identifié cinq situations de crise où il existe quand même des données démographiques individuelles. » Un exemple souvent cité en démographie est l'expédition Donner, qui se rendait en Californie en 1846 et a été coincée six mois en hiver dans la Sierra Nevada. Des 87 membres de l'expédition, 26 hommes et 13 femmes sont morts.

MALADIES

Dans quatre des cinq crises étudiées par les chercheurs danois, les femmes vivaient plus longtemps que les hommes. « L'exception est l'esclavage, probablement parce que les propriétaires d'esclaves vont soigner et nourrir davantage les hommes que les femmes, parce qu'ils valent plus cher », dit Mme Zarulli. Une analyse statistique complémentaire a permis de valider un autre aspect de cette différence entre les sexes : une partie importante de l'écart d'espérance de vie est constituée d'une phase « morbide », où les femmes sont très malades (par exemple quand elles sont atteintes de démence). « Les femmes résistent mieux à l'adversité physique que les hommes, et cela s'applique aussi à la fin de vie. L'agonie dure plus longtemps pour les femmes. La prochaine étape dans mes travaux est justement d'étudier ce qui se passe dans les dernières années de vie des hommes et des femmes. » Par exemple, en France, l'écart d'espérance de vie entre hommes et femmes est de 4,1 ans, mais seulement de 0,9 an si on ne tient compte que des années passées en bonne santé.

CAUSES

Pourquoi les femmes vivent-elles plus longtemps que les hommes ? « On peut penser à plusieurs dimensions, dit la démographe d'Odense. Au niveau de l'évolution, il est souhaitable qu'un groupe compte plus de femmes que d'hommes, pour maximiser le nombre de naissances. Il semble que l'humanité ait été polygame pour une grande partie de l'histoire. Il se peut aussi que la double copie du chromosome sexuel X [NDLR : les femmes ont les chromosomes sexuels XX et les hommes, XY] permet de parer les mutations génétiques délétères. Enfin, au niveau hormonal, les oestrogènes semblent avoir un effet protecteur au niveau cardiovasculaire et pour une foule de maladies. La testostérone, elle, non seulement augmente la prise de risques, mais encore est néfaste pour la santé cardiovasculaire. Les hormones sexuelles pourraient aussi être liées au fait que les femmes ont généralement un meilleur système immunitaire que les hommes, ce qui explique le plus haut taux de maladies auto-immunes chez les femmes. »

ESCLAVAGE ET FAMINE

Des esclaves américains libérés ont fondé la colonie du Liberia, mais une grande majorité des premiers arrivants sont morts à cause des conditions matérielles difficiles. De 1820 à 1843, l'espérance de vie à la naissance était de 1,7 an pour les garçons et 2,2 ans pour les filles. À Trinité, seule île des Caraïbes à avoir un registre des esclaves en raison des pressions du mouvement anti-esclavagiste, l'espérance de vie à la naissance entre 1813 et 1816 était de 15 à 18 ans pour les hommes et de 19 à 21 ans pour les femmes. Il s'agit de la seule analyse épidémiologique de l'esclavage. Et en Ukraine, en 1933, la collectivisation forcée de l'agriculture par l'Union soviétique a ramené l'espérance de vie à la naissance à 7 ans pour les garçons et à 11 ans pour les filles. L'Ukraine appelle cette famine l'Holodomor. Elle la considère comme un génocide.

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• 84 ans : Espérance de vie à la naissance au Québec en 2014 pour les femmes

• 80 ans : Espérance de vie à la naissance au Québec en 2014 pour les hommes

• 87 ans : Espérance de vie au Québec en 2014 pour les femmes de 65 ans

• 84 ans : Espérance de vie au Québec en 2014 pour les hommes de 65 ans

Source : Institut de la statistique du Québec