Tous les alpinistes qui s'attaquent aux sommets de l'Himalaya le savent. Il existe une règle non écrite qui stipule qu'on ne doit pas se soucier des porteurs pakistanais en détresse sous prétexte que les sauvetages en haute altitude comportent trop de risques et qu'ils peuvent mettre en péril le succès des expéditions. Louis Rousseau a transgressé cette règle afin de venir en aide à un homme en difficulté. À plus de 5500 mètres d'altitude. C'est pourquoi La Presse et Radio-Canada lui décernent le titre de Personnalité de la semaine.

Le 4 juillet dernier, dans le massif Karakoram, à la frontière sino-pakistanaise. L'alpiniste Louis Rousseau est au camp de base à 5000 mètres d'altitude. Il se prépare à rejoindre un deuxième camp de base situé 1000 mètres plus haut, avant de s'attaquer au sommet du Gasherbrum 1, aussi appelé G1. Le 11e parmi les plus hauts sommets du monde, avec 8068 mètres.

À 7h du matin, un appel d'urgence d'un grimpeur suisse lui parvient par radio satellite: un porteur pakistanais, engagé par une équipe japonaise, souffre du mal de l'altitude et risque un oedème pulmonaire qui pourrait lui être fatal. Il est en détresse respiratoire et l'équipe japonaise n'arrive apparemment pas à faire le sauvetage. Louis Rousseau et son coéquipier José Carlos Tamayo ne perdent pas une seconde. Ils prennent avec eux des médicaments, une bouteille d'oxygène et un traîneau avant de commencer leur longue ascension vers le porteur en détresse, qui se trouve à plus de 500 mètres plus haut. La météo n'est pas clémente, l'oxygène se fait rare et les parois sont abruptes. Le traîneau et le matériel de secours ralentissent aussi les deux hommes. Ils mettront quatre heures pour rejoindre l'homme en détresse. «Ma priorité était d'aller sauver cette personne en danger», raconte tout simplement Louis Rousseau.

Abandonnée par l'équipe japonaise, qui a préféré poursuivre son chemin, la victime est accompagnée d'un autre porteur. Une bouteille d'oxygène, presque vide, se trouve à ses côtés. Louis Rousseau commence à administrer les premiers soins, il change la bouteille d'oxygène et installe le porteur sur le traîneau.

Des liens forts

Commence alors une longue descente sur les pentes du glacier qui peuvent parfois dépasser les 45 degrés d'inclinaison. Il faut aussi se méfier des crevasses. Chaque pas, chaque geste doivent être minutieusement calculés. Les deux sauveteurs et leur victime sont rejoints par deux autres équipes qui ont, elles aussi, décidé de répondre à l'appel. L'une est composée des collègues de Rousseau et Tamayo, l'autre est italienne. Heureusement, un médecin fait partie du groupe. Il examine la victime. En tout, plus d'une douzaine d'alpinistes viendront en aide au blessé. Mais d'autres équipes ont préféré faire la sourde oreille, invoquant à mots couverts la fameuse règle. Même les porteurs pakistanais n'ont pas le droit de former des équipes de sauvetage pour aider l'un des leurs, sous la menace de voir leur contrat résilié. «Pour ces agriculteurs pakistanais qui font en moyenne 150$US par mois en période de récoltes, une expédition d'escalade pendant l'hiver peut leur rapporter jusqu'à 1500$US», dit Louis Rousseau.

Vers 13h, une autre bouteille d'oxygène est acheminée vers le porteur. La descente se fait lentement. Les membres de l'équipe de sauvetage sont épuisés. Mais l'état de la victime est stable et des liens forts se tissent entre les participants.

Peu avant 17h, de retour au camp de base, le blessé est placé dans une chambre hyperbare sous la supervision d'un médecin de l'armée pakistanaise. Sa vie n'est plus en danger. La soirée se termine autour d'un bon repas où certains membres osent décrier le comportement des autres équipes qui ont préféré se concentrer sur l'atteinte de leur objectif plutôt que de porter secours à un être humain en danger. D'autres, comme Rousseau, préfèrent se concentrer sur les aspects positifs. «Des événements comme ça nous permettent de mettre en pratique toutes nos connaissances et nos techniques. Les opérations de sauvetage font souvent partie des expéditions d'escalade.»

Un geste logique

De nature plutôt humble, Louis Rousseau tient à préciser qu'il était en terrain connu et qu'il n'en était pas à sa première expédition dans la région. Réticent au début à se lancer dans la vague médiatique qui a suivi son retour au pays, c'est sa conjointe, Candice Wu, qui lui a conseillé de plonger. «C'est une belle occasion de remercier les gens qui me suivent dans mes expéditions et qui m'encouragent depuis des années. C'est aussi une vitrine extraordinaire pour parler de l'alpinisme, mon sport, ma passion. Et si ça peut m'aider à trouver des commanditaires pour mes prochaines expéditions...»

En sauvant la vie de ce porteur pakistanais, Rousseau et ses collègues ont aussi empêché sa femme de devenir veuve et de sombrer dans la pauvreté. Dans une société patriarcale où l'homme doit subvenir seul aux besoins de sa famille, ils ont aussi sauvé ses six enfants d'un avenir incertain.

Quand on lui parle d'un acte de courage et de bravoure, Louis Rousseau paraît tout de suite gêné: «C'était plutôt un geste logique et naturel. Je n'ai fait que porter secours à un être humain en danger.»

C'est une belle occasion de remercier les gens qui me suivent dans mes expéditions et qui m'encouragent depuis des années.»