Deux chercheurs, Gustavo Turecki et Michael Meaney, de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, tous les deux professeurs au département de psychiatrie de l'Université McGill, ont été choisis Scientifiques de l'année 2009, pour leurs découvertes sur les effets épigénétiques de la maltraitance infantile sur le cerveau. C'est l'équipe des Années-lumière, magazine scientifique de la Première Chaîne de Radio-Canada, qui décerne ce titre chaque année depuis 23 ans. Michael Meaney est à la tête du programme de recherche sur le comportement, les gènes et l'environnement. Gustavo Turecki dirige pour sa part le Réseau québécois de recherche sur le suicide.

L'épigénétique étant un domaine de recherche relativement nouveau, les deux chercheurs ont accompli une percée fondamentale en ce domaine. La Presse et Radio-Canada les nomment Personnalités de la semaine.

Des rats et des hommes

Ce que ces hommes et leur équipe, composée principalement de Moshe Szyf et Patrick McGowan, ont pu mettre en lumière, ce sont les fondements biologiques des effets de la maltraitance infantile, mais aussi ceux de la résilience, la capacité de répondre aux traumatismes psychologiques.

On sait déjà que les expériences traumatisantes de la vie, particulièrement durant la tendre enfance, ont un effet sur le développement de troubles psychiatriques, plus tard, dans la vie. Une exposition prolongée à des radiations ou à des substances nocives peut aussi influencer l'expression de nos gènes. On connaît aussi le rôle des gènes dans la réponse individuelle au stress; ils sont importants dans l'apparition de ces troubles. Les chercheurs ont donc essayé d'en comprendre les mécanismes biologiques.

Une découverte surprenante de marques épigénétiques: à partir de cerveaux humains de gens suicidés, examinés et taillés en pièces, les chercheurs ont conclu que le suicide y était inscrit! Alors que ces marques spécifiques n'apparaissent pas chez ceux qui n'ont pas été victimes de violence en bas âge.

Par ailleurs, Michael Meaney, installé dans un autre laboratoire de l'Institut Douglas, vérifiait, preuves à l'appui, que les ratons léchés par leur maman, cajolés, ont une meilleure réaction au stress. Ils sont donc mieux armés pour faire face à la vie. Il en est de même pour les humains.

Les traumatismes s'inscrivent dans notre cerveau. Certaines personnes peuvent trouver en eux les forces nécessaires de s'en sortir. «Chez d'autres personnes par ailleurs, le gène qui code pour le récepteur des glucocorticoïdes s'exprime beaucoup moins, explique Michael Meaney, comme si leur corps ne pouvait reprendre le dessus. À la moindre alerte, c'est la panique.»

Tout se passe dans l'hippocampe qui abrite des récepteurs de glucocorticoïdes, et qui les libère dans notre corps lorsque survient une situation alarmante.

Le cerveau de morts a constitué la matière première des scientifiques pour mener à bien leurs recherches. Mais comment ont-ils procédé?

Matière grise

L'hôpital Douglas conserve dans ses sous-sols près d'un millier de cerveaux qu'hommes et femmes ont légués à la science. La banque des suicides du Québec s'y trouve aussi. Les scientifiques ont eu accès à 200 d'entre eux pour mener leurs recherches.

Dans une entrevue accordée à Québec Science, Gustavo Turecki raconte: «Nous avons étudié 36 cerveaux. Douze provenaient d'individus qui avaient été maltraités durant leur enfance et se sont suicidés à l'âge adulte. Douze cerveaux d'hommes qui se sont suicidés, mais n'avaient pas été maltraités. Et finalement, 12 individus sans histoire de maltraitance, morts à la suite d'une maladie ou d'un accident.»

Tous les individus à qui appartenaient ces cerveaux ont traversé une enquête exhaustive à travers l'histoire médicale, familiale, le bureau du coroner, la direction de la protection de l'enfance, etc.

Après avoir été découpés, soumis à des traitements divers en laboratoire, les cerveaux ont livré un secret unanime: «Chez tous les sujets ayant été maltraités dans leur enfance, le récepteur des glucocorticoïdes fonctionne au ralenti!»

Il est primordial, selon des preuves scientifiques apportées par l'équipe de Douglas, de savoir qu'une enfance difficile occasionne de terribles dommages. On peut aussi affirmer, grâce aux résultats de cette recherche, que le biologique et le social jouent un rôle équivalent dans le développement mental humain.

Michael Meaney, comme ses collègues, croit qu'une thérapie adéquate peut rendre le processus réversible. De même que par les promesses d'études pharmacologiques actuellement en cours. Ce que confirme le Dr Moshe Szyf du département de pharmacologie de l'Université McGill, véritable sommité dans le domaine de l'épigénétique. Il se montre encourageant en ce qui a trait aux séquelles des mauvaises expériences de l'enfance: «Dans le domaine du cancer, nous travaillons déjà sur des médicaments qui pourraient inverser les effets épigénétiques en activant ou en désactivant certains gènes.»