Si vous tapez «Patrick Pichette» dans Google, vous apprendrez que cet ancien patron de Bell Canada est un des grands argentiers de Silicon Valley, l'eldorado technologique californien où est né le XXIe siècle. Sa calculette jongle avec des liquidités de 18 milliards de dollars américains. Oui, oui, 18 000 millions! À 46 ans, M. Pichette est le nouveau chef de la direction financière du plus important moteur de recherche sur internet: Google. Rien de moins.

Il y a deux semaines, quand il a prononcé un discours devant la chambre de commerce du Montréal métropolitain, Patrick Pichette a fait salle comble.

 

Du coup, celui qui détonnait avec sa chemise jaune, ses souliers de course blancs et son sac à dos orange dans une mer de costumes bleus et gris a été sacré «nouvelle web star de Québec inc.» par les médias financiers.

Malgré l'intérêt qu'a suscité sa première sortie officielle à Montréal, ce financier hors du commun a pourtant pris la chose avec détachement.

«J'avais dit à mes parents: Ne venez pas, ça va être ennuyant à mort! Ce sera tellement plus le fun d'aller manger ensemble au restaurant. On va pouvoir rigoler.»

Cette anecdote révèle un peu l'homme. Du moins sa façon d'aborder la vie.

«On est des gens simples, dit Patrick Pichette. Mes parents nous ont légué, à ma soeur, à mon frère et à moi, des valeurs profondes. Il y avait beaucoup d'amour et de soutien, chez nous.»

Son père, directeur technique à Radio-Canada, et sa mère ont investi dans l'éducation et les loisirs de leurs enfants.

«Mes parents ne savent pas nager ni skier, mais nous, on le sait, dit-il. Et on allait dans des camps de vacances l'été.»

Aller au bout de soi

«Mes parents sont surpris de toute la chance que j'ai eue, dit-il. Si, en plus, on ajoute de bonnes valeurs et beaucoup de travail, ça peut mener loin si on n'arrête pas.»

Cette route l'a conduit jusqu'au poste de numéro 4, après les fondateurs et le président, de l'une des compagnies les plus puissantes et les plus en vue de la planète.

À titre de chef de la direction financière de Google, il gère les budgets d'une société qui affiche des revenus de 20 milliards et qui emploie plus de 20 000 personnes.

Pour cet accomplissement extraordinaire, La Presse et Radio-Canada nomment Patrick Pichette Personnalité de la semaine.

«Si j'avais à résumer mes aspirations, je dirais que j'ai deux objectifs: avoir beaucoup d'impact dans mon milieu et prendre le temps de contempler la beauté de la vie.»

Le parcours qui l'a mené à Mountain View, en Californie, est atypique. Une sorte de jeux d'essais, d'erreurs et de coups de génie ont conduit cet homme particulièrement brillant aux plus hauts sommets.

Né et élevé à Montréal-Nord, M. Pichette a étudié en sciences à la polyvalente Henri-Bourassa; en arts et communications au collège Jean-de-Brébeuf.

«C'est moche, l'école, dit-il en riant. Être assis à écouter des gens parler pendant des heures, ce n'était pas pour moi. Je suis un gars éclectique, super curieux et hyperactif sur les bords. Je suis un junkie de l'apprentissage, mais après avoir fait le cube Rubik trois fois, je m'ennuie très vite.»

À 19 ans, il décide donc d'abandonner ses études pour se lancer à l'aventure.

Enrôlé dans Katimavik, il part faire du travail communautaire en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec. Il restaure des sites historiques, travaille avec des handicapés et se lie d'amitié avec des bûcherons, chez qui il habite.

Le programme terminé, il décide de rester en Colombie-Britannique comme opérateur de débusqueuse.

Retour aux études

Après deux ans, il revient à Montréal et s'inscrit à l'UQAM.

«Quand je suis retourné aux études, j'avais un focus très différent, dit-il. J'ai eu une leçon de vie quand j'étais dans le bois. J'ai vite fait le tour de ce travail et je me suis rendu compte que j'aimais surtout apprendre et faire de grandes choses.»

Comme il est «super fort» en maths, il cherche un compromis entre ce qui est scientifique et très humain. Il opte pour l'administration des affaires.

«C'était une grave erreur, dit-il. Je n'aurais jamais dû faire ça! Un bac devrait nous apprendre à penser et à mettre en valeur notre cadre créatif et intellectuel. Pas à faire des techniques.»

Il termine quand même son bac en deux ans et demi avec un dossier exceptionnel.

Un professeur lui suggère alors de s'inscrire à la bourse Rhodes, qui permet d'étudier à l'Université Oxford, en Angleterre.

«J'étais sans le sou, mais je me suis acheté un complet pour passer l'entrevue, se souvient-il. J'avais l'air d'un vrai pingouin... Je leur ai expliqué que j'avais tout fait à l'envers. Que c'était tout croche, mon affaire.»

Il remporte la bourse et il part faire une maîtrise en philosophie politique et économique. Sur le campus, il rencontre sa femme.

«Je n'ai vraiment pas étudié tant que je n'ai pas été à Oxford, dit-il. J'ai travaillé vraiment fort, mais j'ai beaucoup appris.»

Parcours professionnel

Quand il sort de l'université, il ne veut pas d'une carrière tracée à l'avance. Il cherche un travail qui lui permet de se dépasser.

Il travaille à la firme conseil McKinsey & Company, à Toronto, Tokyo et Montréal. Il devient VP finance de Sprint Canada, puis il entre au siège social de Bell Canada. Il y reste sept ans et devient président de l'exploitation, responsable de 16 000 employés.

Puis, l'an dernier, il reçoit l'appel d'une amie. Google cherche un responsable des finances. Elle lui propose de rencontrer les fondateurs de Google, Sergey Brin et Larry Page.

«Je me suis tout de suite rendu compte que je cadrais avec les valeurs de cette entreprise, dit-il. Sa mission est d'organiser et de rendre disponible à tous toute l'information et de la rendre utile aux gens. Google veut trouver les réponses pour que le monde soit meilleur.»

Depuis son arrivée, on lui a reproché d'avoir été le premier à faire des licenciements dans cette entreprise. Le magazine Fortune l'a surnommé The Axman (l'homme au couperet).

«Je ne suis pas d'accord avec ça, mais c'est du bon marketing pour Fortune», dit-il en riant.

À Google, il remarque qu'il y a un équilibre entre le travail professionnel, le travail communautaire et les défis complexes.

«Ici, on ne veut pas tes opinions, dit-il. C'est très analytique. Tu dois amener l'évidence qui supporte tes hypothèses. Et il faut arriver attaché serré parce que les gens sont super brillants.»

Pour relaxer, il ne fait pas que se rendre au travail à vélo. Père de deux filles de 17 et 14 ans et d'un garçon de 15 ans, il fait beaucoup d'activité de plein air: randonnée, chasse et pêche jusqu'en Russie.

Et il lit beaucoup, à peu près de tout - présentement, The History of the Decline and Fall of the Roman Empire.

«On n'arrête jamais d'apprendre!» lance-t-il.