Il y a un an presque jour pour jour, je rencontrais Marie-Sissi Labrèche qui m'avouait être heureuse. Elle doit l'être d'autant plus que le film tiré de son livre Borderline remporte un vif succès. Et il a reçu des hommages mérités à la 11e soirée des Jutra qui a eu lieu la semaine dernière.

La réalisatrice Lyne Charlebois, dont Borderline est le premier film, a tenu très haut son trophée, avec une fierté d'autant plus légitime qu'elle est devenue la première femme réalisatrice à le recevoir. La Presse et Radio-Canada la nomment Personnalité de la semaine.

Se révéler en tous sens

Est-ce qu'un Jutra change la vie d'une réalisatrice? Est-ce qu'il peut changer la vie d'une femme? Le film qu'elle a réalisé a pourtant changé la vie de bien des personnes. J'en ai pour preuve cette scène.

Au cours de l'entrevue dans un petit bistro de la rue Beaubien, Lyne Charlebois et moi, absorbées dans nos questions-réponses, n'apercevons pas tout de suite la jeune femme assise à la table voisine qui lève un doigt en l'air, tente d'attirer l'attention de la réalisatrice. Scène 2, prise 1. Elle réussit. S'excuse et s'exclame. «Votre film, madame, je l'ai vu trois fois! J'en ai été bouleversée. Je tiens à vous dire ma gratitude. Ce film a changé ma vie!»

Lyne Charlebois reçoit ce témoignage avec émotion et humilité. Adapter un roman n'est pas chose facile. Celui de Marie-Sissi Labrèche qui plonge tête première dans la maladie mentale encore moins.

On a beaucoup parlé de film coup-de-poing, comme chaque fois qu'une réalité ou une vérité émerge à travers les images. Lyne Charlebois parle de poésie. «Je n'ai pas voulu faire un film glauque, mais un film lumineux.» Poésie des mots écrits par Marie-Sissi en voix hors champ. Et de ses images à elle, faites pour toucher. «Je suis consciente que c'est juste un film. Je ne suis pas en train d'opérer quelqu'un à coeur ouvert. Bien sûr que c'est un film de femmes - déjà nous étions majoritaires sur le plateau. Fait avec une sensibilité de femme. Une sensibilité différente et non pas plus grande. Des hommes m'ont confié qu'ils avaient retenu des messages, perdu certains de leurs préjugés, mieux compris les gens fragiles.»

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes réalisatrices? Et pourquoi est-ce si difficile pour celles qui s'y aventurent? «Je vais sortir des clichés. Un homme qui se choque, il crée. Une femme qui se choque, c'est pas beau.»

Perplexe. «Je ne peux m'expliquer pourquoi c'est comme ça.»

Elle a gagné son Jutra. C'est ce que l'histoire retiendra. «L'avantage de gagner, c'est de pouvoir dire merci. C'est un grand bonheur que de dire merci à l'univers. Au coup de main du destin qui m'a mise sur la route de Roger Frappier.» Le tournage de Borderline a été un des beaux moments de sa vie, avec force éclats de rire et complicité.

La route des films

Elle est née au sein d'une famille «merveilleuse», à Pont-Viau. Robert Charlebois est son cousin. Une famille tissée serré. «On est très proches. La chose dont je suis la plus certaine: j'aurai toujours quelqu'un pour m'aimer et sur qui je pourrai compter.» Elle les a mis à l'épreuve longtemps avec un fort caractère, les écarts d'humeur d'une petite fille tannante, qui a trouvé le moyen entre autres de se faire renvoyer de toutes les écoles! Des parents chefs de meute ont tout de même réussi à la faire fléchir. Et c'est grâce surtout au sens de l'humour.

Son parcours? Après une année à Baie-Saint-Paul, elle entre à l'Université du Québec à Montréal en lettres. Elle veut devenir romancière. Entre-temps, en dilettante, elle prend des photos sur des plateaux, pour des pochettes de disques, et de fil en aiguille, réalise des vidéoclips et des miniséries. Le rêve prend forme et devient obsessif: elle veut réaliser un long métrage.

Elle aime écouter les histoires des gens, leur donnant peu à peu la vie: «J'adore mettre en scène, donner corps à un texte, l'incarner. Surprendre les acteurs.»

Lyne Charlebois reconnaît son franc-parler, son impatience. «J'ai du mal à supporter l'injustice, la malhonnêteté et la mauvaise foi. Mais si je suis impatiente, je suis aussi généreuse, tient-elle à préciser avec le sourire. La bonté est l'une des qualités que je préfère.» Et c'est avec ses amis chers qu'elle se sent le mieux. Et c'est avec le temps que le caractère se peaufine en douceur.

La vie lui a fait cadeau de ce talent d'images, d'imaginaire, d'amour des acteurs. Rien à faire cependant, comme femme c'est encore difficile. «J'ai un jour décidé d'arrêter de me plaindre», reconnaît-elle. Cet aveu signifiait que dans ce micro-univers où se trouvent trois filles pour 55 gars, il faut se battre. Et poursuivre son rêve.

Ce qu'elle a fait magistralement en véritable gagnante.