Gérald Désourdy se tient au sommet du mont Horizon. Devant lui s'étend un territoire de la taille du mont Royal, recouvert d'arbres et strié de sentiers de randonnée. À gauche, en suspens sur une crête, le versant ouest de la montagne de ski Bromont, avec ses pistes, ses télésièges et ses luxueux chalets, semble prêt à déferler sur la dernière partie intacte du massif du mont Brome.

« On ne peut pas se permettre de ne pas réussir », lance M. Désourdy, l'un des six enfants du fondateur de Bromont et qui, avec son frère Robert et d'autres, tente d'empêcher le cadet de la famille, Charles, président de Bromont, montagne d'expériences, de poursuivre le développement immobilier de la station de ski.

Il est minuit moins une pour les opposants à Val 8, projet de 27 résidences qui pousserait l'empreinte immobilière du centre au coeur du « fer à cheval », un amphithéâtre naturel niché à 375 mètres d'altitude entre le domaine skiable et les monts encore vierges Horizon, Bernard et Spruce, au sud.

Devant l'opposition de la population, le promoteur a accepté il y a un an de céder ses terrains au prix d'environ 7 millions de dollars pour la création d'un parc qui recouvrerait l'intégralité de ce territoire.

Mais la date butoir pour confirmer que l'argent a bel et bien été récolté est le 31 décembre à 17 h. À défaut, le promoteur Bromont Immobilier pourra aller de l'avant avec son projet.

Et moins d'un mois avant cette date, 3,5 millions manquent encore à l'appel. C'est la part que la municipalité de Bromont et les groupes de protection impliqués dans l'aventure espèrent recevoir du ministère du Tourisme du Québec.

EN ATTENTE DE QUÉBEC

« On est très confiants », lance malgré tout Gérald Désourdy avec un sourire qui se veut rassurant. Le nouveau maire de Bromont, qui était lui-même très impliqué dans le mouvement de protection avant de se lancer en politique, tient le même discours. « Les signaux qu'on a de la part des gouvernements sont très bons. Moi, je ne suis pas inquiet. On va réussir le projet », dit Louis Villeneuve.

« On connaît la conséquence », ajoute cependant le maire Villeneuve. 

« Si le gouvernement du Québec ne vient pas appuyer ce projet-là au 31 décembre, Bromont, montagne d'expériences va pouvoir sortir les scies à chaîne. C'est ça, la conséquence », le maire de Bromont.

Le montage financier prévoit une contribution de 2,75 millions de la municipalité, 1 million du gouvernement fédéral par l'entremise de l'organisme Conservation de la nature Canada et 1 million de dollars provenant d'une campagne de financement populaire menée par des groupes soutenant l'effort de protection. Québec compléterait la mise, à laquelle s'ajoutent les taxes et environ 1 million pour un fonds de gestion (le total est d'un peu plus de 8 millions).

Jeudi matin, devant l'hôtel de ville, le gros baromètre installé pour marquer l'avancement de l'effort de la population atteignait pour la première fois la barre des 90 %.

Mais toujours pas un mot de Québec, du moins publiquement. Au ministère du Tourisme, une porte-parole a indiqué vendredi que la demande, qui s'inscrit dans le cadre du Programme de soutien aux stratégies de développement touristique, est « toujours en analyse ».

UNE NOUVELLE PROPOSITION QUI POURRAIT BROUILLER LES CARTES

Suivant la situation de près, le président de la station, Charles Désourdy, a sorti un lapin de son chapeau il y a quelques jours et envoyé discrètement à la municipalité une nouvelle proposition.

Il suggère de réduire le prix de vente d'environ 1,5 million (avant taxes), mais de garder le droit de bâtir huit maisons sur flanc nord-ouest de la montagne, qui longe la piste la plus à l'ouest et qui surplombe la vallée du fer à cheval.

« Avec ça, à mon avis, ils sont rendus à 99 % sûrs de réussir le montage pour acheter ces terrains-là », explique Charles Désourdy en entrevue.

« Mais ça, ils ne veulent pas en parler, parce qu'ils disent : on veut forcer le gouvernement à mettre de l'argent, on veut, on veut... Et moi, je dis : oui, je suis d'accord, mais, côté transparence, est-ce qu'on peut laisser le gouvernement et les citoyens décider c'est quoi, la meilleure option ? », lance Charles Désoudy, président de Bromont, montagne d'expériences.

Tant à la municipalité qu'au groupe Protégeons Bromont dont les deux autres frères Désourdy font partie, on marche sur des oeufs quand il est question de cette troisième possibilité.

« Ce qu'on veut, c'est un parc, ce n'est pas une partie de parc », martèle Gérald Désourdy.

« Pour l'instant, on n'est pas là. Pour l'instant, c'est un parc intégral le 31 décembre », renchérit le maire Villeneuve. Son bureau a toutefois refusé de fournir une copie de cette dernière proposition d'offre de vente de 19 terrains.

« SEUL VESTIGE DE NOS FORÊTS PRÉCOLONIALES »

Le massif du mont Brome est l'une des neuf collines montérégiennes qui s'élèvent au-dessus du paysage dans les environs de Montréal, avec notamment le mont Saint-Hilaire, le mont Royal, le mont Saint-Bruno et le mont Rougemont.

« Les Montérégiennes sont à peu près le seul vestige de nos forêts précoloniales des basses terres du Saint-Laurent. Tout le reste a été exploité et tout le reste est cultivé ou à peu près, ou a été modifié de façon significative », dit Joël Bonin, directeur de Conservation de la nature Canada, l'organisme à but non lucratif qui doit fournir l'avis d'ici la fin de l'année au promoteur Bromont Immobilier.

Le territoire visé compte plusieurs milieux ou espèces à protéger, dont la salamandre pourpre, qu'on retrouve uniquement au Québec, et « trois grands marais et une tourbière en plein coeur du parc, indique Michel Matteau, président des Amis des sentiers de Bromont. C'est une zone de conservation prioritaire. » 

« Avec ces marais-là viennent des espèces précaires tant au niveau floristique qu'animal. Il faut qu'on trouve le moyen de protéger ces milieux-là pour favoriser ces milieux de vie », dit Michel Matteau.

Si ces groupes et la municipalité parviennent à compléter le financement, ils vont créer un parc de près de 500 acres, le parc des Sommets, où le réseau existant de sentiers de marche, de vélo, de raquette et de ski de fond serait mis en valeur. Un refuge sous forme de cabane à sucre serait aussi construit et pourrait abriter un petit musée de l'érable, pour souligner le passé acéricole des lieux.

UNE SIGNIFICATION PARTICULIÈRE

Pour Gérald Désourdy, le parc revêt une signification particulière : c'est son père Roland qui était propriétaire du massif et, lorsqu'il était plus jeune, il faisait partie de son vaste terrain de jeu. Il espère qu'il en sera de même pour ses enfants et ses petits-enfants, et pour les générations à venir de Bromontois et de visiteurs.

Son frère Charles, quant à lui, n'en démord pas et maintient que son projet ne représente que le développement d'une portion limitée du territoire, qu'une bonne partie de ce dernier pourrait continuer à être utilisée par les cyclistes et les marcheurs, et qu'il entend se plier à toutes les normes et aux principes du développement durable.

« Je n'ai aucune idée pourquoi mes deux frères en mars 2013 ont décidé de crinquer la population à empêcher ce projet-là et d'investir ces sommes-là... et de les convaincre, surtout ! Je ne sais pas. Encore aujourd'hui, je suis convaincu qu'un dossier clair avec un choix et un référendum, je ne pense pas qu'on serait rendu là, mais... »

« Là, on arrive à midi moins une et on va voir où ça nous mène. »

***

LA SAGA EN CINQ TEMPS

• SEPTEMBRE 2013: La Ville donne une approbation conditionnelle au projet de Bromont Immobilier.

• AVRIL 2013: Des citoyens remettent une pétition de plus de 4000 noms pour s'y opposer.

• JUILLET 2015: La municipalité rejette finalement le projet.

• JUILLET 2015: Bromont Immobilier intente une poursuite.

• NOVEMBRE 2016: Un règlement à l'amiable intervient et prévoit la date butoir du 31 décembre 2017.