Il y a mille choses qu'un touriste ontarien peut venir faire un dimanche d'été dans les Laurentides. Mais Alex ne s'est pas rendu à Val-Morin, hier, pour admirer les grands pins ou pour faire du pédalo. Le grand Torontois est plutôt venu se faire transpercer le corps. Littéralement, à l'occasion de la fête Kavadi.

À la lisière des arbres, Alex est allongé sur le sol boueux d'un camp de yoga.

Autour de lui, des hommes en vetti (une sorte de pagne) s'activent. Avec d'imposants crochets, ils lui transpercent la peau du corps en huit endroits. Deux tiges dans la peau du dos; d'autres, encore, derrière les cuisses et dans les mollets. Alex mord dans un torchon, mais il ne crie pas. Un nouveau pic de métal lui traverse une joue, puis une autre.

Pour seule cérémonie, il y a des dévots qui crient «Arohara». C'est la façon dont les hindous implorent leurs dieux.

«Je prie pour que ça ne fasse pas mal», a confié le croyant quelques secondes plus tôt. Il en est à sa cinquième expérience du genre.

L'hindou est soulevé à trois mètres dans les airs. Comme seule suspension, il a ces crochets qui étirent sa peau.

Quatre hommes l'imitent. «Il était très préoccupé. Il voulait se libérer de plusieurs choses», explique Sujeeva Arunthavanayagam quand on lui demande pourquoi son mari flotte, lui aussi, au-dessus du sol.

Des dizaines d'autres pèlerins ont des crochets, plus ou moins gros, qui leur traversent le dos. Ils danseront pendant plus de cinq heures, tandis que des camarades tireront, avec une force parfois surprenante, sur les agrafes qui font légèrement saigner leur peau.

Une catharsis

Si plusieurs rituels servent des ambitions cathartiques, alors la fête de Kavadi, célébrée une fois l'an par les Tamouls, ne fait certainement pas exception. En l'honneur du dieu de la guerre, Murugan, des milliers de dévots convergent depuis plus de 20 ans vers Val-Morin, un lieu paisible choisi par le yogi indien Swami Vishnudevananda en 1962.

La cérémonie, répètent plusieurs hindous, sert à se débarrasser des péchés de l'année précédente, et de celle à venir aussi.

Et la douleur? Comme plusieurs autres pénitents, Alex trouve le moyen de hausser les sourcils pour signifier que tout va bien. Il bouge les bras, de haut en bas, sans jamais lâcher le harpon - le vel, en hindou - qu'il tient d'une main.

Autour de lui, des dizaines de femmes marchent en traînant des contenants remplis d'offrandes (du lait, la plupart du temps) sur leurs têtes. Des hommes au dos percé s'éreintent à danser. Au terme de la marche, ils seront nombreux à s'effondrer au sol. Ou à entrer en transe.

«La musique nous contrôle. Nous lui donnons notre âme», explique Kanthan Rasalingam, après s'être remis d'une «communication spirituelle» qui a fait flancher ses genoux, fait rouler ses yeux et secoué son corps avec frénésie.

En observant la scène, une question semble évidente: pourquoi?

Parce que ç'a toujours été comme ça, ou parce que c'est «ce qu'on fait», affirme l'anthropologue de l'Université du Connecticut Dimitris Xygalatas, qui a obtenu cette réponse, la plupart du temps, de la part des dévots hindous qu'il observe depuis maintenant six ans, car il étudie le Kavadi depuis autant d'années.

«Certains disent qu'ils demandent des faveurs au dieu Murugan ou qu'ils le remercient pour la chance, pour avoir rempli une promesse», observe aussi l'anthropologue, que La Presse a joint à l'île Maurice, où il étudie actuellement les rituels hindous.

Surtout, les cérémonies douloureuses encouragent la cohésion sociale, a découvert le professeur au fil de ses études. «Ça semble possible que la souffrance pour une cause fasse en sorte que les participants attribuent davantage de valeur à cette cause», explique-t-il.

À voir tous ces hommes au dos enflé, dans les rues onduleuses de Val-Morin, on aurait tendance à croire à son hypothèse. Ils seront donc probablement nombreux à revenir l'an prochain, quand la peau de leur dos aura cicatrisé.