Les vieux soldats ne meurent jamais... ils s'effacent doucement.

Ce vers, tiré d'une vieille chanson militaire anglo-saxonne, est placé en sous-titre de l'ouvrage que Jean-Louis Morgan consacre à l'ancien combattant québécois Charly Forbes.

Lancé aujourd'hui à la Citadelle de Québec, Charly Forbes, le dernier des fantassins raconte la jeunesse et l'étonnante carrière militaire de ce Gaspésien francophone né à Matane. Considéré comme le militaire canadien le plus décoré, il a combattu en Europe du Nord durant la Seconde Guerre mondiale et en Corée en 1951-1952.

Pour ses actions héroïques aux Pays-Bas, la reine Wilhelmine lui a accordé la plus haute décoration néerlandaise, la Croix de chevalier militaire de l'Ordre de Guillaume, rattachée par la tradition à la Croix de Victoria britannique.

À la tête d'un peloton du régiment de Maisonneuve, le lieutenant Forbes avait mené ses hommes à l'assaut de l'île de Walcheren, dans l'estuaire de l'Escaut. Solidement tenue par les troupes allemandes, l'île empêchait l'utilisation de l'important port d'Anvers. Il a mené son peloton au travers de l'étroite chaussée bordée d'eau qui relie le continent à l'île, sous le feu nourri des canons et des mitrailleuses.

Ils ont réussi à traverser et à s'enfoncer de près de 500m dans Walcheren. Isolés, ils ont tenu leur position pendant 16 heures avant que la relève leur permette de décrocher et de retraverser la chaussée. Des 15 hommes, 8 y sont restés.

Sérieusement atteint, Charly Forbes a été le dernier à revenir, traînant avec lui un blessé.

Bref, un héros. «Il est plus honoré en Hollande qu'ici, insiste Jean-Louis Morgan. La consule honoraire des Pays-Bas à Québec, Wileke Blanchet-Pierik, nous raconte que, quand elle était petite fille, on lui narrait les exploits de Charly Forbes. Quand elle est arrivée à Québec, elle a voulu rencontrer le mythique M. Forbes.»

L'héroïsme et sa reconnaissance dépendent des circonstances, et Charly Forbes en avait conscience plus que quiconque. Il s'était montré très critique des décisions prises lors de cette action de diversion à Walcheren, qui a coûté la vie à 135 soldats canadiens. C'est peut-être cet esprit rebelle, lucide, qui a le plus frappé Jean-Louis Morgan.

Son ouvrage est en partie basé sur les 33 heures d'entretiens filmés pour les besoins du documentaire qu'Alain Stanké prépare sur Charly Forbes. Son témoignage regorge d'anecdotes invraisemblables, touchantes, cocasses - comme ce violon trouvé intact dans les décombres d'une maison, et dont Charly Forbes s'est aussitôt mis à jouer. Car ce soldat était aussi musicien.

Ce sera le second documentaire d'Alain Stanké sur les militaires québécois d'exception, après Ne tirez pas, consacré au lieutenant de corvette Stanislas Déry, de Québec, qui avait recueilli l'équipage d'un sous-marin allemand en perdition plutôt que le laisser courir à une mort certaine.

«Ayant connu la guerre quand j'étais jeune, explique Stanké, j'ai toujours espéré trouver de belles histoires dans les sales guerres.» Il a voulu en préserver quelques-unes.

Alain Stanké a rencontré Charly Forbes pour la dernière fois au printemps dernier. «Il m'a dit alors: «Jamais plus je ne raconterai mon histoire». Et c'est ce qui est arrivé.»

Jean-Charles Forbes s'est éteint le 19 mai.