Parce qu'il a été en mesure d'obtenir des «garanties formelles» du gouvernement fédéral, le Québec donne son appui à l'éventuel accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne (UE).

Malgré certaines concessions, le ministre des Finances, Nicolas Marceau, a estimé, vendredi, à Montréal, qu'une «étape importante» venait d'être franchie pour diversifier et consolider l'accès du Québec au marché européen.

Après environ quatre années de négociations, le Canada et l'UE ont annoncé à Bruxelles avoir conclu une entente de principe sur un éventuel accord de libre-échange.

Le ministre Marceau a fait miroiter la possibilité, sur un horizon de cinq ans, de voir les exportations québécoises grimper de 2,3 milliards de dollars. Le PIB pourrait aussi croître de 2,2 milliards de dollars alors que jusqu'à 16 000 emplois permanents pourraient être créés.

Selon lui, l'accord de libre-échange permettra d'abolir les «tarifs douaniers de l'Union européenne et du Canada sur les produits industriels, dont 98 % des lignes tarifaires dès l'entrée en vigueur de l'Accord».

En conférence de presse, le ministre des Finances a assuré avoir obtenu d'Ottawa des garanties fermes pour les producteurs laitiers et de fromage de la province.

Ces derniers en ont notamment contre l'arrivée de 17 700 tonnes supplémentaires de fromage européen sur le marché canadien, notamment parce que les producteurs européens bénéficient de généreuses subventions.

«Nous aurions aimé que la décision fédérale soit différente, a reconnu M. Marceau. Nous avons demandé à ce que le mécanisme (de compensation) soit établi avant la ratification de l'accord par l'Assemblée nationale.»

Sans entrer dans les détails, le ministre des Finances a laissé entendre que les compensations pourraient se faire sous la forme de montants d'argent directement versés aux producteurs québécois concernés.

«Les mesures vont aussi resserrer l'entrée des fromages hors contingent, à mettre en oeuvre un contrôle frontalier plus serré effectif à court terme et à mieux tenir compte de la part du secteur présente au Québec dans l'attribution des licences d'importation», a-t-il souligné.

M. Marceau a cependant rappelé qu'en vertu de l'entente, 81 000 tonnes de viande de porc pourront être exportées en Europe, ce qui va stimuler l'industrie québécoise. Il a ajouté que trois abattoirs de la province répondaient déjà aux normes fixées par l'UE.

L'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne (AECG) réduira ou abolira aussi les tarifs pour divers produits, dont l'aluminium, le sirop d'érable, les véhicules récréatifs, les pièces et les produits alimentaires de transformation.

«Nos motoneiges vont entrer sans tarifs en Europe, contrairement à celles de nos concurrents américains et japonais, a illustré M. Marceau. Nos entreprises vont pouvoir gagner des parts de marché qui étaient difficiles à conquérir auparavant.»

«Les exportations québécoises ont souffert ces 10 dernières années, a ajouté M. Marceau. Si on veut inverser cette tendance, il faut diversifier nos marchés.»

Le ministre a aussi indiqué que l'éducation, la santé et les services sociaux, les industries culturelles, les achats stratégiques d'Hydro-Québec ainsi que les affaires autochtones n'étaient pas couverts par l'Accord.

Selon le gouvernement Marois, l'AECG procurera au Québec un accès aux marchés publics de l'UE qu'il estime à quelque 3000 milliards de dollars annuellement.

Le ministre Marceau a estimé que le jeu en valait la chandelle lorsqu'on considère que la portion du marché public québécois qui sera accessible est évaluée à quelque 25 milliards de dollars.

L'industrie des pêches n'est pas en reste puisque selon ce dernier, l'Accord fera en sorte qu'il n'y aura pas de tarifs sur 95 % des produits exportés vers l'Europe.

«Les exportations du Québec vers l'Europe sont très faibles en matière de pêche, a fait valoir M. Marceau. L'espoir que nous avons, c'est que nos producteurs soient en mesure de conquérir des marchés là-bas.»

De son côté, le chef de l'opposition officielle, Philippe Couillard, a salué l'entente. Il s'est également dit confiant pour les producteurs laitiers et de fromage du Québec.

«J'ai confiance dans la grande qualité des produits québécois, a affirmé le chef libéral. Je suis certain que nos fromages peuvent concurrencer ceux du reste du monde.»

M. Couillard a également affirmé que c'est l'appartenance à la fédération canadienne qui avait permis au Québec de profiter de l'Accord.

Des négociations de dernière minute ont eu lieu pour le Québec

Le Québec s'est peut-être assuré d'obtenir des compensations pour le secteur agricole en échange de son appui à l'accord de libre-échange avec l'Union européenne, mais peu de gens savent qu'elles ont été obtenues à la dernière minute.

C'est ce qu'a confié le négociateur en chef de la province pour l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, Pierre Marc Johnson, vendredi, à Montréal.

Il a dit avoir appris lundi, en pleine Action de grâce, que ce sont 17 700 tonnes supplémentaires de fromages européens qui feront leur entrée sur le marché canadien.

«C'était jour de congé, souligne M. Johnson. Autour du sandwich à la dinde, ils nous ont dit: »c'est 17 700 tonnes«. On a alors dit: »est-ce qu'on a bien compris? Est-ce qu'il y a un zéro de trop?»

L'ex-premier ministre péquiste croit savoir pourquoi cette information n'a été communiquée qu'à la fin des négociations. «Ils (les responsables) le savaient que nous ne serions pas contents», a-t-il dit.

Dès lundi, M. Johnson a communiqué cette statistique au gouvernement Marois, ce qui rapidement provoqué la mise en place d'une offensive à l'endroit du gouvernement fédéral.

«Moi j'avais un mandat de dire »nous on ne veut pas«, souligne-t-il. J'attendais qu'un chiffre vienne.»

Le négociateur en chef du Québec pour l'Accord a même révélé que l'Ontario a participé à cette offensive, affirmant que la première ministre Pauline Marois avait parlé à son homologue ontarienne, Kathleen Wynne.

M. Johnson a confié que les pourparlers sur ce point ne se sont terminés que jeudi soir.

Le négociateur en chef dit qu'il n'était pas d'accord avec l'analyse d'Ottawa que le marché canadien serait en mesure d'absorber, sans trop d'impacts négatifs, l'arrivée de 17 700 tonnes supplémentaires de fromages en provenance de l'Europe.

«Le message de l'offensive était: »vous avez beau nous dire que le marché va absorber tout cela, nous ne sommes pas sûrs, alors on veut de la compensation«», a raconté M. Johnson.

Le Québec a finalement obtenu gain de cause, puisque vendredi matin, alors qu'il était en Belgique, le premier ministre Stephen Harper a assuré qu'Ottawa offrirait une compensation pour «contrer complètement» d'éventuels effets négatifs sur l'industrie des produits laitiers.

L'ex-politicien s'est dit satisfait des compensations obtenues pour le secteur agricole du Québec et estime que les représentants de l'industrie, comme la Fédération des producteurs de lait du Québec ainsi que l'Union des producteurs agricoles, devraient l'être également.

Satisfait des grandes lignes de l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, M. Johnson estime quand même qu'il fallait intervenir pour protéger les travailleurs agricoles.

«Tout le monde sait que cet accord-là est fait pour la base industrielle du Québec, comme le secteur manufacturier essentiellement, le secteur des services et l'ouverture des marchés», a-t-il observé.

«Ça sert plus à ce qui n'est pas agricole, même s'il y a des ouvertures dans ce secteur», a ajouté l'ex-premier ministre.

M. Johnson croit qu'il pourrait s'écouler jusqu'à deux années avant que toutes les parties impliquées ne donnent leur approbation finale. Il se dit confiant que le tout se déroulera sans pépins.