À la suite du feu vert donné hier par le premier ministre Jean Charest, la Commission de l'administration publique de l'Assemblée nationale enverra aujourd'hui une invitation à la sous-ministre des Transports pour qu'elle comparaisse avec le responsable de l'escouade anticollusion du Ministère, Jacques Duchesneau.

À New York, le premier ministre Charest a dit voir «d'un bon oeil» que M. Duchesneau puisse avoir l'occasion d'expliquer son rapport qui a fait l'objet d'une fuite, la semaine dernière. Une telle ouverture était inattendue: si on se fie au rapport percutant, un témoignage public de l'ancien chef du SPVM risque d'être embarrassant pour le gouvernement.

Toutefois, a tenu à préciser M. Charest, «il faut baliser une affaire comme ça, on ne veut pas nuire aux enquêtes de police». Il appartiendra aux députés de bien circonscrire les aspects du travail de M. Duchesneau qui pourront être discutés publiquement. Ce dernier a transmis des dossiers à l'escouade Marteau - laquelle a été fusionnée avec l'Unité permanente anticorruption -, des informations sensibles destinées aux policiers.

Selon Hugo D'Amours, attaché de presse du premier ministre, cette comparution «pourrait se faire assez rapidement, mais on ne peut parler au nom de la Commission. M. Duchesneau est sous la responsabilité de l'UPAC».

Réactions de l'opposition

«Je suis d'accord à ce qu'il vienne devant une commission parlementaire, mais cela ne remplacera pas la tenue d'une enquête publique», a réagi hier en point de presse la chef péquiste Pauline Marois. Ironique, elle a relevé que le premier ministre Charest avait surpris tout le monde en soutenant, vendredi, qu'il n'avait pas lu le rapport qui faisait la manchette partout. Si M. Duchesneau vient témoigner, «qui n'a pas lu le rapport viendra à tout le moins l'écouter», a dit Mme Marois.

Président de la Commission de l'administration publique (CAP), le péquiste Sylvain Simard indique que le comité directeur de la Commission se réunira cet après-midi pour inclure M. Duchesneau dans une invitation qui allait être faite à la sous-ministre des Transports, Dominique Savoie. «Ce ne sera pas un jeu politique. On pose des questions et M. Duchesneau répond en s'inspirant de son rapport, il peut expliquer son contenu, les méthodes utilisées», explique M. Simard. Il reste à définir quel est le statut actuel de M. Duchesneau. Son lien d'emploi est-il encore valide? Est-il lié aux Transports ou à l'Unité de lutte anticorruption? «Avant de spéculer sur un refus, on peut au mois l'inviter! Avec la tribune que cela lui donne devant les médias, une tribune légitime que trouve normale M. Charest, je pense que M. Duchesneau acceptera notre invitation», prédit M. Simard.

Il relève que, bien que M. Charest ait soutenu vendredi que le rapport n'était pas destiné aux décideurs politiques mais bien à la police, à la page 55, on constate que l'ancien policier suggère «des pistes de réflexion soumises au ministre». «Ce n'était pas un document pour les fonctionnaires, c'était conçu comme un document politique au départ et il aurait dû avoir une réponse politique», de conclure M. Simard.

Une commission demandée

Premier à avoir pensé à inviter M. Duchesneau à la CAP, le député adéquiste François Bonnardel se défend bien de «jouer le jeu de Charest. Ce n'est pas une façon de mettre le couvercle sur la marmite. Ce rapport est accablant, il faut trouver des pistes de solutions, la commission parlementaire reste plus pertinente que jamais parce que la malversation dure depuis 10, 15 ans».

M. Duchesneau «connaît bien le milieu, comme ancien patron de la police de Montréal. On ne fait pas un procès Duchesneau... Cela deviendra peut-être un procès de Transports Québec».

«On est devant une crise majeure, M. Duchesneau peut partager avec nous ses suggestions pour améliorer la situation. Il y a 43 milliards de fonds publics qui se dépensent en infrastructures... c'est important», dit le député de Shefford, membre du comité de direction de la CAP.

Pour le libéral Henri-François Gautrin, membre de la Commission de l'administration publique, qu'il a instituée, avant de convoquer l'ancien policier, il faudra s'assurer «que ce témoignage ne serve pas des objectifs partisans». «M. Charest a dit qu'il n'était pas contre... C'est une possibilité, mais la CAP doit faire son travail, qui est apolitique. Il ne s'agit pas de la politiser», prévient le vétéran du PLQ.

Le PQ ne lâche pas le morceau

Par ailleurs, pour la huitième fois en deux ans, le Parti québécois déposera demain à l'Assemblée nationale une motion pour demander la tenue d'une commission d'enquête publique sur la collusion dans l'industrie de la construction. La chef Pauline Marois exhorte cette fois le premier ministre Jean Charest à laisser ses députés voter librement.

«Le Québec est plongé dans une crise, une crise de confiance envers le gouvernement. Nous savons que le crime organisé a infiltré des pans entiers de notre économie. La population est outrée, désabusée et exaspérée. C'est la démocratie qui est actuellement touchée», a indiqué la chef de l'opposition hier.

Après les vagues entourant le vote libre sur le projet d'amphithéâtre à Québec, Pauline Marois a assuré que les députés péquistes seraient libres de voter comme bon leur semble. Elle met au défi Jean Charest «d'agir en démocrate et de libérer les députés libéraux de la loi du silence qu'il leur impose».

La chef péquiste reste toutefois convaincue que «le premier ministre s'obstinera jusqu'au bout s'il n'est pas au pied du mur». Elle en appelle donc à la «loyauté» des députés libéraux à qui elle demande de «dépasser la ligne de parti». «Je suis convaincue que, dans leur for intérieur, plusieurs députés libéraux n'en peuvent plus de se taire et de voter contre la population, a-t-elle indiqué. Votre vrai patron, ce n'est pas Jean Charest, c'est la population québécoise.»