Le chef adéquiste Gérard Deltell doit répondre avant la fin de la journée à la mise en demeure que lui a transmise lundi le premier ministre Jean Charest.

Ce dernier exige «des excuses publiques» avant 17h de M. Deltell qui l'a assimilé samedi au «parrain», le chef de la mafia italienne. Toute la matinée lundi, M. Deltell s'était multiplié en entrevues pour atténuer ses propos, souligner qu'il avait affublé M. Charest du titre de «bon parrain du Parti libéral». Il s'agissait, insistait l'adéquiste, d'une sortie «politique» qui ne met pas en doute l'intégrité du premier ministre.

Après avoir reçu la lettre transmise par l'avocat de M. Charest, Me André Ryan, où on le menace de «poursuites sans autres délais ni avis», le chef adéquiste s'est abstenu de toute déclaration. Totalement accessible aux médias habituellement, il refusait, en après-midi, toute requête d'entrevue. Il doit rencontrer ce midi son caucus de trois députés, «et fera probablement une déclaration» aujourd'hui, a expliqué son porte-parole Sébastien Lépine.

À Rivière-Bleue, dans le Témiscouata, M. Charest a dit «regretter» la tournure des événements. «Ce qui m'attriste, c'est l'énergie qu'on met là-dedans. Je suis le premier à voir là une perte de temps et d'énergie. J'aurais souhaité que M. Deltell fasse le geste honorable, qu'il convienne que ce qu'il a dit n'était pas le reflet de sa pensée et qu'il le retire.Je souhaite qu'il se rétracte parce que j'ai autre chose à faire que d'entretenir ce genre de débat», a conclu M. Charest.

À l'ADQ, en privé, on dit mal s'expliquer que le chef Deltell se trouve dans la ligne de mire de Jean Charest alors que la semaine dernière des péquistes, Stéphane Bergeron, de Verchères, notamment, ont établi des liens très nets entre la mafia et le PLQ. M. Bergeron avait même soutenu que le gouvernement était «complice» de la pègre.

C'est la troisième mise en demeure envoyée par M. Charest pour des propos jugés outranciers. Il avait fait de même avec Marc Bellemare au printemps dernier. L'ancien ministre de la Justice avait accusé M. Charest de «mentir comme il respire». À défaut de rétractation, M. Charest a déposé une poursuite de 700 000$ en libelle.

En 2006, la péquiste Agnès Maltais avait eu quant à elle une mise en demeure pour avoir soutenu que l'ancien ministre libéral Marc-Yvan Côté et le Groupe Roche étaient intervenus auprès du cabinet du premier ministre pour obtenir la fermeture du zoo de Québec, qui occupait un emplacement de premier choix près de Québec. La requête de M. Charest est restée lettre morte et une entente à l'amiable est intervenue entre Mme Maltais et M. Côté.

Pas de cause

Professeur à la faculté de droit de l'Université de Montréal, Pierre Trudel, expert en ces matières, juge que M. Charest ne se trouve pas en terrain solide s'il entend poursuivre l'adéquiste.

«Les tribunaux sont très divisés sur ces questions. Il y a une approche qui dit que les tribunaux ne sont pas les arbitres de la courtoisie et du vocabulaire utilisé dans les débats politiques», a observé l'universitaire. Il s'agit d'une approche plus conforme au principe de la liberté d'expression, selon lui.

«Par ailleurs, les échanges en politique sont souvent difficiles et peuvent être blessants. Cette deuxième approche devrait prévaloir selon moi», a poursuivi le spécialiste.

Car pour Me Trudel, la sortie de Gérard Deltell, «si on met les choses dans le contexte, c'était un discours partisan prononcé par quelqu'un qui est l'adversaire de M. Charest, on peut s'attendre à ce qu'il exprime un point de vue très critique à son égard».

«Si on avait eu un commentaire de cette nature dans une caricature, on aurait dit: ça peut déplaire, mais pas davantage. Les gens ne prennent pas cela au premier degré», a conclu Me Trudel.

Précédents

Les juges ont eu tendance à se partager en deux groupes égaux sur ces questions de libelle. Un premier courant estime que les politiciens sont présumés avoir l'épiderme moins sensible que le commun des mortels en ces matières et doivent tolérer les attaques. En revanche, d'autres verdicts reconnaissent aux politiciens le droit de protéger leur réputation.

Quelques précédents: Daniel Johnson avait eu gain de cause contre l'animateur André Arthur. Dans les années 90, celui qui est devenu député indépendant aux Communes avait soutenu, sans vérification, que M. Johnson avait favorisé une subvention à un centre de ski où sa femme avait des intérêts, une déclaration dénuée de tout fondement.

Lucien Bouchard et Jacques Parizeau avaient aussi gagné en cour contre Richard Lafferty qui avait, en 1993, assimilé ces deux souverainistes aux nazis d'Adolf Hitler. Mais l'affaire, portée en appel, avait tout de même divisé les juges - l'un des trois magistrats estimait que la poursuite n'était pas fondée.

Pour un autre spécialiste, qui préfère ne pas être identifié, si l'affaire se rend aux tribunaux, M. Deltell n'aura pas à prouver la véracité de ses allégations, mais plutôt l'impact qu'elle aura eu sur la réputation de M. Charest. Les dommages peuvent être difficiles à démontrer, l'impact de cette sortie est impossible à isoler dans l'ensemble de la joute politique.