(Ottawa) La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, s’impatiente face à la paralysie du conseil de bande de Kanesatake dans le dossier du centre de tri G & R Recyclage. Elle presse les chefs de s’entendre rapidement, d’accepter l’aide d’un médiateur ou de demander à la Cour fédérale de trancher dans une lettre dont La Presse a obtenu copie.

« Il existe un large consensus sur le fait qu’une action urgente et rapide doit être prise, car la contamination a de graves conséquences sur la santé et le bien-être des membres de la communauté, ainsi que sur les cours d’eau environnants », écrit-elle dans la lettre envoyée à l’ensemble du conseil de bande mercredi.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu

Kanesatake est aux prises avec le site de G & R Recyclage, un dépotoir illégal d’où s’écoule une eau toxique, mais les sept dirigeants ne s’entendent pas sur la façon de remédier à la situation. Des enquêtes de La Presse en mai et en juin avaient permis de constater que cette eau brunâtre dépasse de 144 fois la concentration de sulfures jugée sûre pour la survie des poissons. Le dépotoir pollue ainsi les cours d’eau de sa communauté et des municipalités avoisinantes. Il appartient aux frères Robert et Gary Gabriel, qui traînent tous deux un lourd passé criminel.

Services aux Autochtones Canada est prêt à payer un médiateur, mais son offre a déjà été déclinée. Mme Hajdu revient à la charge dans sa lettre et suggère que cet arbitrage porte uniquement sur la question de G & R Recycling. « Je vous encourage fortement à accepter la médiation sur cet enjeu spécifique et urgent », insiste-t-elle.

La ministre propose que W8banaki, une organisation du Conseil tribal d’Odanak et de Wôlinak au Centre-du-Québec, qui offre divers services techniques aux communautés, commence l’évaluation des contaminants durant la médiation sans que le conseil ait à prendre possession du site ou à assumer la responsabilité financière.

Le début des travaux pourrait « offrir à la communauté des options sur la façon d’aller de l’avant pour protéger sa santé et son environnement », signale-t-elle.

Dissensions au sein du conseil de bande

C’est la solution préconisée par les cinq chefs dissidents au conseil de bande, qui est divisé en deux factions. D’un côté, il y a le grand chef Victor Bonspille et sa sœur jumelle Valerie Bonspille ; de l’autre, les cinq autres chefs dont fait partie l’ancien grand chef Serge Otsi Simon. Aucun des deux camps n’est favorable à cette nouvelle offre de médiation.

Les chefs dissidents ont fait l’objet de deux motions de censure l’automne dernier, mais ils ne reconnaissent pas la légitimité du vote. Ils y voient une manœuvre politique de leurs adversaires. Les motions ont été appuyées par une cinquantaine de membres de la communauté, qui en compte environ 4000.

Or, Mme Hajdu fait remarquer que le résultat officiel de ces votes n’a jamais été transmis à son ministère. Elle rappelle également à l’ensemble des chefs qu’elle ne peut pas s’ingérer dans leurs affaires internes. Le conseil de bande de Kanesatake est régi par son propre code électoral. Elle les encourage à régler leurs différends sur la composition du conseil de bande ou de faire appel à la Cour fédérale. « Une résolution rapide profitera à l’ensemble de la communauté », souligne-t-elle.

La lettre a été mal accueillie de part et d’autre. En entrevue, le grand chef Victor Bonspille s’est dit « déçu ». Il a le sentiment que ses demandes d’aide ont toutes été ignorées et que la ministre a choisi le camp opposé. Il avait imploré les parlementaires en novembre, se disant « presque désespéré », et demandé un droit de veto au gouvernement fédéral.

S’ils ne sont pas disposés à intervenir, les ministres Hajdu et Anandasangaree acceptent simplement que ces individus soient assis là alors que la communauté ne veut pas d’eux.

Victor Bonspille, grand chef du conseil de bande de Kanesatake

Seule la tenue d’une élection générale pourrait dénouer l’impasse, selon lui.

Serge Otsi Simon estime pour sa part que la lettre de la ministre Hajdu est contradictoire. D’une part, elle dit ne pas vouloir se mêler du conflit interne au conseil de bande, de l’autre elle impose l’unanimité pour la solution aux problèmes du dépotoir.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien grand chef du conseil de bande de Kanesatake, Serge Otsi Simon

« Ça ne fonctionne pas comme ça, fait-il valoir. Un système démocratique va toujours fonctionner par une majorité. »

Frais de nettoyage

Les chefs dissidents veulent aller de l’avant avec W8banaki, mais ils veulent également l’assurance du gouvernement fédéral qu’il assumera complètement les frais de nettoyage du site qui s’élèveraient à 100 millions, selon le gouvernement du Québec.

Je pense que l’urgence d’avancer sur ce dossier-là dépasse largement les affaires internes de Kanesatake.

Jean-Denis Garon, député bloquiste de Mirabel

À son avis, Mme Hajdu et le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Gary Anandasangaree, devraient à tout le moins accepter de rencontrer M. Bonspille.

« Maintenant, quand on a un grand chef qui essaie de communiquer avec le gouvernement, qui a de la difficulté à se faire répondre, ça montre que peut-être que des solutions supplémentaires peuvent être proposées par le gouvernement fédéral pour dénouer cette crise-là », conclut l’élu bloquiste.

Une autre solution proposée par Ottawa pour tenter de régler le problème du dépotoir semble donc avoir été écartée. L’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador avait accepté en juin de coordonner les efforts pour atténuer les mauvaises odeurs et déterminer le coût des travaux de décontamination, à condition d’avoir l’accord de l’ensemble du Conseil mohawk de Kanesatake. C’est la solution privilégiée par le grand chef Bonspille.