Il y a un an, la vallée du Richelieu a connu les pires inondations depuis 150 ans. La rivière est sortie de son lit pendant 58 jours. Depuis, le Québec a resserré sa surveillance du cours d'eau tandis que, après un siècle de rendez-vous manqués, le Canada et les États-Unis étudient les moyens de contrer les inondations. En attendant, plusieurs sinistrés vivent toujours les contrecoups de la catastrophe. La Presse est allée à leur rencontre.

«J'ai 72 ans et je viens de perdre un an de ma vie. C'est beaucoup, perdre un an quand on est jeune. Mais à mon âge, c'est énorme. Il me reste combien de temps?»

Les plans de retraite de Jean-Guy Gévry sont tombés à l'eau le 23 avril 2011, quand la rivière Richelieu a inondé sa maison à Saint-Blaise, au sud de Saint-Jean-sur-Richelieu. La gorge nouée, le septuagénaire raconte que, durant la montée des eaux, il terminait les rénovations de sa résidence, qu'il pensait vendre pour financer ses voyages dans le Sud en véhicule récréatif.

Un an plus tard, non seulement ses rénovations ne sont pas terminées, mais les travaux de réfection du sous-sol s'éternisent, à son grand désarroi. «Des fois, je me demande si je n'aurais pas été mieux de crisser mon camp, si ça n'aurait pas été moins de trouble de démolir. J'ai l'habitude de me battre, mais là, je regarde les autres et je me demande si j'ai pris la bonne décision.»

Jean-Guy Gévry a fait une croix sur le Sud. La dernière année a gravement hypothéqué sa santé, lui qui souffrait déjà d'un cancer. Après s'être refusé à quitter sa maison pendant les inondations, il a demandé à en être évacué en octobre dernier, parce que l'air y était devenu irrespirable. Depuis, il vit dans un studio «sans télévision» à Saint-Jean.

En février, le ton a monté avec l'analyste gouvernemental chargé de son dossier, qui voulait que les travaux avancent plus vite. Plus tard, alors qu'il se trouvait dans une quincaillerie pour acheter des matériaux, Jean-Guy Gévry a eu un malaise cardiaque. Il a passé neuf jours à l'hôpital pour s'en remettre.

Depuis, il a «lâché prise».

Jean-Guy Gévry est seul dans sa maison quand il reçoit La Presse, mercredi après-midi. Comme tous les jours, le septuagénaire s'est levé tôt pour aller accueillir les ouvriers qui reconstruisent sa maison. Mais, ce matin-là, ils ne se sont pas présentés. Encore une fois. Il hausse les épaules. «Quand il y avait de l'eau, on savait contre quoi on se battait, mais, là, on ne sait plus.»

Sonner l'alarme

Un an après les inondations, la maison de Keith Fuller est elle aussi encore en chantier. Refusant de se laisser décourager, l'homme regrette surtout de ne pas avoir été averti à temps que les eaux du Richelieu menaçaient. «Je suis les nouvelles tous les jours, je lis les journaux, et je n'ai rien vu. Aucun avertissement.»

Le Richelieu a pourtant commencé à sortir de son lit le 16 avril, révèlent les données de la station hydrique de Saint-Jean. C'est seulement une semaine plus tard, le 23, que les eaux ont atteint un niveau critique et inondé des milliers de sous-sols.

Le ministère de la Sécurité publique dit avoir beaucoup appris de ces inondations. Guy Laroche, sous-ministre associé, assure que la surveillance de la rivière a été resserrée. Une nouvelle station hydrique pour mesurer le niveau du Richelieu a été ajoutée en novembre dernier à Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix, à la sortie du lac Champlain qui se déverse dans la rivière québécoise. Le Québec collabore également à l'amélioration du programme fédéral d'alerte en cas de catastrophe. À terme, des avertissements seront diffusés en bandeau à la télévision, comme aux États-Unis.

Keith Fuller, lui, ne prend plus de risque. Pratiquement chaque jour, il consulte le niveau du Richelieu sur son ordinateur. Il s'est également mieux préparé. «On avait juste une pompe submersible et elle a lâché. Maintenant, on en a quatre. On a deux génératrices au lieu d'une. On a deux pompes à piscine au lieu d'une. Si j'avais eu les pompes que j'ai maintenant, je n'aurais pas eu les problèmes majeurs que j'ai eus.»

Sauvé des eaux

Richard Leblanc avait passé la soirée du 23 avril à regarder le match éliminatoire du Canadien contre les Bruins de Boston. C'est quand son voisin a voulu rentrer qu'il a découvert que l'eau couvrait complètement sa rue. La rivière est pourtant à 500 m de là.

Les semaines qui ont suivi ont été éprouvantes. M. Leblanc a dû se battre pour faire aménager une digue autour de sa maison, dans un quartier de Noyan que la Ville préférait faire évacuer.

Un an plus tard, Richard Leblanc ne regrette pas d'être resté: sa maison, la plus basse du quartier, n'a subi que des dommages mineurs, alors que plusieurs autres ont été lourdement endommagées. Deux de ses voisins ont même dû se résoudre à la démolition.

Éprouvés, Richard Leblanc et sa famille ne pensent tout de même pas à quitter Noyan. Quand on évoque la question, sa conjointe, Cathy Pepin, secoue la tête: «Pourquoi quitter un navire qui n'a pas coulé?»

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Les inondations en chiffres

2298 Demandes d'aide financière au gouvernement, dont 2206 sont jugées «réglées»

133 Maisons démolies

1 famille vit toujours à l'hôtel en attendant la fin des travaux à sa résidence

52,2 millions Somme versée aux sinistrés, dont 765 000$ à 197 entreprises agricoles

367 Quantité, en millimètres, de pluie tombée sur le lac Champlain en avril et mai 2011, soit près de deux fois la moyenne des dernières années (175 mm)

31,45 Niveau record, en mètres au dessus du niveau de la mer, atteint par le lac Champlain le 6 mai 2011. Le précédent record, de 31,12 m, datait de 1869.