La campagne électorale fédérale s'invite dans le dossier des eaux usées. La ministre fédérale de l'Environnement, Leona Aglukkaq, a demandé mardi au maire de Montréal de suspendre le rejet de 8 milliards de litres d'eaux usées dans le Saint-Laurent afin de procéder à une évaluation «en bonne et due forme» des conséquences environnementales. Visiblement irrité, Denis Coderre a accusé le gouvernement conservateur de «faire de la politique» sur le dos des Montréalais et de «gagner du temps» d'ici le scrutin du 19 octobre.

«Savez-vous depuis quand Environnement Canada a ce dossier-là entre les mains? Depuis septembre 2014», a tonné le maire Coderre lors d'un point de presse en fin de journée. «Si le gouvernement canadien, qui est vraiment très crédible en matière de science et qui pense que Les Pierrafeu, c'est un documentaire, essaye de nous faire la leçon parce qu'il veut gagner des petits points politiques, ben moi, je n'embarque pas là-dedans», a-t-il ajouté.

Le maire Coderre a ensuite lancé un ultimatum aux fonctionnaires d'Environnement Canada. «Je vous donne trois jours. Venez-vous-en à Montréal, j'ai de la place en masse, pis on a du bon café», a lancé le maire. «On va s'asseoir ensemble pour que vous nous proposiez vos solutions. À moins que la ministre ou le Bureau du premier ministre ait bloqué la situation.»

L'administration Coderre affirme qu'elle n'a d'autre choix que de déverser 8 milliards de litres d'eaux usées, soit plus de quatre fois le volume du Stade olympique, dans le fleuve Saint-Laurent, du 18 au 25 octobre. Le ministère de l'Environnement du Québec a donné son autorisation pour un tel rejet, mais le dossier n'a pas encore officiellement reçu l'aval d'Environnement Canada.

Selon la Ville de Montréal, le gouvernement fédéral a autorisé des déversements d'une ampleur comparable en 2003 et en 2007. Le maire Coderre accuse donc les conservateurs de retarder la décision après le scrutin du 19 octobre.

«On parle d'un cas de 8 milliards de litres d'eaux usées pendant sept jours. Savez-vous combien il y a de litres d'eaux usées non traitées dans les Grands Lacs en ce moment? 90 milliards», a illustré le maire.

Usines d'épuration «en péril»

La vidange de l'eau a lieu dans le cadre des travaux d'abaissement de l'autoroute Bonaventure dans le but de faire disparaître la chute à neige du centre-ville. La construction d'une nouvelle chute nécessite la purge complète d'un intercepteur de 30 kilomètres compris entre les arrondissements de LaSalle et de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles. Cette immense conduite, qui recueille le tiers des eaux usées de Montréal, sert à diriger ces eaux vers la station d'épuration de la métropole. La Ville veut aussi retirer quatre systèmes de soutènement vétustes qui menacent de se détacher dans l'intercepteur et d'endommager les convoyeurs et les pompes de la station d'épuration.

«Le gouvernement conservateur met aujourd'hui en péril nos usines d'épuration d'eau parce que plus on attend, plus il peut y avoir des bris», a averti le maire Coderre.

Les partis fédéraux se prononcent

La question des eaux usées n'a pas fait réagir uniquement le gouvernement conservateur sortant.

«L'idée que, en 2015, on va relâcher des milliards de litres d'eaux usées dans le Saint-Laurent et ses écosystèmes, c'est tellement saugrenu que c'est évident qu'un gouvernement du NPD ne le permettrait pas», a déclaré le chef du NPD, Thomas Mulcair.

«Le NPD essaye probablement de se chercher une raison pour ne plus parler du niqab, en disant que lui non plus ne ferait pas de déversement. Mon cher Tom, on a fait tous nos devoirs», a répliqué le maire Coderre.

Le Bloc québécois est aussi opposé au déversement des eaux usées, mais accuse les conservateurs de tenter «d'éteindre un feu que le gouvernement fédéral a lui-même allumé» en sous-investissant dans les infrastructures.

Refusant pour sa part de condamner la Ville de Montréal, Justin Trudeau accuse aussi le gouvernement conservateur d'avoir placé les villes devant des «choix impossibles» en refusant de financer adéquatement l'entretien des infrastructures.

À Québec, le ministre de l'Environnement, David Heurtel, a pressé Ottawa d'examiner rapidement la question. Informé de la décision du fédéral, il a souligné qu'il avait exigé que le chantier soit mené entre le 15 octobre et le 15 novembre. Cela permettrait de limiter les dommages sur l'environnement, a-t-il expliqué. «Je souhaite que le gouvernement fédéral, dans son analyse, tienne compte du fait que si on prend trop de temps, ça peut avoir un impact encore plus néfaste sur l'environnement», a affirmé M. Heurtel.

- Avec la collaboration de Pierre-André Normandin et de Martin Croteau