Ils attendent cette autoroute depuis 40 ans. Et chaque matin, en prenant la direction sud vers Laval ou Montréal, à l'heure de pointe, les quelque 6600 usagers de la route 335 en provenance de la banlieue nord ont tout le loisir d'en rêver, un pied sur la pédale de frein de leur voiture immobilisée dans les bouchons de circulation.

«À 7 h 30, c'est pare-chocs à pare-chocs, du pont [Athanase-David] jusqu'à Montréal», affirme Paul Larocque, maire de Bois-des-Filion, une petite municipalité de 9700 résidants située tout au bout de la route 335. La route secondaire offre une seule voie de circulation par direction sur la majorité de son parcours de 10 km entre les autoroutes 640 et 440, en banlieue nord de la métropole.

Selon le ministère des Transports du Québec (MTQ), le trajet, qui prend 10 minutes en circulation fluide, en prend 25 chaque matin, à une vitesse moyenne de 10 à 30 km/h. Au retour, les automobilistes perdent une dizaine de minutes sur ce même tronçon de route, en fin d'après-midi.

Pour remédier à ces problèmes de circulation récurrents, le MTQ propose un projet routier de grande envergure: le parachèvement de l'autoroute 19, entre l'autoroute 440, à Laval, et l'autoroute 640, à Bois-des-Filion.

La transformation de la route 335 en une autoroute à deux voies par direction, sur chaussées séparées, nécessitera le réaménagement de l'échangeur des autoroutes 19 et 640 et la construction de quatre nouveaux échangeurs autoroutiers, sur une distance d'à peine 8 km.

Pour la première fois, le MTQ intégrera à son projet autoroutier, dès la construction, une voie réservée en permanence aux autobus, et ce, dans chaque direction. Cette voie sera située à gauche des voies de circulation routière. Le projet prévoit aussi un stationnement incitatif de 690 places à Bois-des-Filion. Une piste multifonctionnelle longera l'ensemble du projet, du côté est de l'autoroute.

En mai dernier, le Ministère a également annoncé qu'il faudra construire un deuxième pont à côté du pont Athanase-David actuel, sur la rivière des Mille-Îles, pour aménager les nouvelles voies autoroutières. L'estimation préliminaire des coûts du projet de l'autoroute 19 a alors bondi entre 500 et 600 millions.

Pas d'autre solution

Le projet a ses détracteurs, chez les écologistes, les groupes de promotion des transports en commun, dans les partis de l'opposition au conseil municipal de Montréal et parmi les riverains du pont Papineau-Leblanc, dans l'arrondissement d'Ahuntic-Cartierville, où l'A19 déverse chaque matin un flot ininterrompu de milliers de véhicules.

Mais c'est le coût estimé de plus d'un demi-milliard de dollars, dans un contexte de restrictions budgétaires, qui risque d'être le plus remis en question, à compter de ce soir, alors que le projet sera soumis à l'évaluation du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE).

Dans le contexte où de grands projets de transports publics comme le prolongement de la ligne 5 du métro, dans l'est de Montréal, et le système léger sur rail du nouveau pont Champlain sont toujours en attente de financement, et où les infrastructures routières accusent un déficit d'entretien qui coûtera des milliards, comment le MTQ peut-il justifier un projet de cette envergure pour régler un problème de congestion plutôt localisé?

«Pour des raisons d'urgence d'abord, répond le maire de Bois-des-Filion. Nous avons des problèmes majeurs de circulation des véhicules d'urgence qui affectent toute la MRC de Thérèse-de-Blainville. Pour des raisons économiques aussi, parce que nous avons beaucoup d'entreprises locales qui dépendent du camionnage. On perd une fortune dans les bouchons de circulation.»

De plus, fait valoir M. Larocque, «il n'y a pas d'alternative à l'automobile, à Bois-des-Filion et dans certaines des municipalités avoisinantes, par le transport collectif. On ne veut pas un métro à coups de milliards, juste une voie réservée pour faire circuler nos autobus, et du stationnement».

Les gens de la couronne nord font partie de la région métropolitaine et devraient avoir droit à un service de transports collectifs efficace, comme les résidants de la Rive-Sud ou de Laval, plaide-t-il.

«On paie une quote-part pour le métro de Laval. Est-ce qu'on peut au moins avoir des autobus qui vont pouvoir s'y rendre sans que ça prenne une heure et demie?»

Boulevard urbain?

Bien que le maire Larocque insiste sur l'importance du volet «transports collectifs» du projet de l'A19, ce n'est pas celui-ci qui a fait grimper le coût estimé du projet entre 500 et 600 millions. C'est le nouvel aménagement autoroutier - avec ses quatre échangeurs, le nouveau pont de la rivière des Mille-Îles et le réaménagement de l'échangeur de la 640 - qui accaparera la plus grande partie de ces coûts.

N'y aurait-il pas eu moyen de faire moins gros? Le MTQ présentera, à l'occasion des audiences du BAPE, différents scénarios de transports qui ont été étudiés avant de proposer une autoroute à deux voies par direction, y compris des scénarios de boulevard urbain.

Le maire Larocque défend le choix du Ministère. Un boulevard urbain à quatre voies, soutient-il, ne pourrait pas éliminer les problèmes de débordement à certains carrefours de la 335, dont le boulevard Adolphe-Chapleau (route 344), à Bois-des-Filion. Il «présenterait rapidement les mêmes problèmes d'engorgement de la circulation, surtout à cause des feux de circulation», selon lui.

«On ne peut pas juste s'arrêter à la question du coût, dit M. Larocque. Il faut aussi se demander si ce qu'on veut réaliser, c'est un projet moins cher, ou un projet qui va répondre aux besoins futurs?»

La première ronde des audiences du BAPE débute à 19 h, lundi soir, à Laval.

Un projet sans vision, déplore le CRE de Laval

Le projet de parachèvement de l'autoroute 19 entre Laval et Bois-des-Filion est « incomplet » et ne révèle aucune vision régionale à long terme en ce qui concerne les problèmes de mobilité entre la ville et la banlieue, selon le Conseil régional de l'environnement de Laval (CREL).

Le président du CREL Guy Garand déplore qu'on propose de dépenser jusqu'à 600 millions pour résoudre les problèmes de circulation de quelques dizaines de milliers d'automobilistes, « sans même essayer de voir s'il y a d'autres solutions qui pourraient assurer une meilleure fluidité sur l'ensemble du territoire ».

Il estime aussi que le ministère des Transports a présenté au BAPE une étude d'impact « incomplète », qui se limite à documenter les mouvements d'automobiles et les dommages à l'environnement physique dans la zone d'implantation du projet, en ignorant tout effet à moyen ou à long terme sur la circulation vers Montréal ou sur le réseau supérieur de Laval.

« La voie réservée de l'autoroute 19, estime-t-il, n'est rien d'autre qu'un autocollant qu'on appose sur le projet pour dire que c'est du "développement durable". Imaginez, au lieu de ça, si on implantait des voies réservées sur toutes les autoroutes de la banlieue nord, la 13, la 15, la 25, la 440, et sur les grands boulevards de Laval, comme Saint-Martin ou de la Concorde, pour amener rapidement les usagers vers les stations de métro Cartier et Montmorency. »

Piste multi-fonctionnelle: du , dit Vélo Québec

La présidente de Vélo Québec, Suzanne Lareau, estime que le ministère des Transports du Québec (MTQ) fait du greenwashing en mettant de l'avant les transports en commun et une piste cyclable « pour nous faire avaler un projet d'autoroute de 600 millions ».

Selon la militante du vélo, qui a contribué à faire du cyclisme un mode de transport à part entière au Québec, la piste multifonctionnelle de 9 = km proposée par le MTQ dans le projet de l'A19 est « complètement inintéressante » et ne contribuera pas à mousser l'usage de la bicyclette au quotidien, faute d'être reliée à un réseau cohérent de pistes dans les rues de Laval.

Voie réservée: condamnée à long terme, selon le CREM

Avec un peu plus de 2200 passagers prévus à l'horizon 2031, la voie réservée aux autobus sur la future A19 sera largement sous-utilisée et risque à plus ou moins long terme d'être reconvertie en voie autoroutière, croit Félix Gravel, responsable des dossiers de transports au Conseil régional de l'environnement de Montréal (CREM).

« Avec un budget de 500 à 600 millions, il me semble qu'on aurait pu faire tellement mieux. Le MTQ a trouvé un moyen de régler un problème de congestion régionale, mais il n'a même pas essayé de voir s'il n'y aurait pas une meilleure façon d'assurer l'accès de la périphérie jusqu'au centre de Montréal. »

Selon lui, le projet du MTQ aurait dû « proposer immédiatement des solutions pour prolonger cette voie réservée », qui s'arrête à l'autoroute 440, au centre de Laval, en offrant un service de navette rapide vers la ligne 5 (bleue) du métro, au centre de Montréal, et pas seulement vers le métro Montmorency, sur la ligne 2 (orange) de Laval.