Grâce à des dizaines de pages de documents obtenus par la loi d’accès à l’information et à de multiples témoignages, photos et vidéos, La Presse a pu reconstituer en détail l’historique de l’immeuble depuis son achat par Henri Zavriyev, en août dernier. La chronologie montre la désinvolture du propriétaire et l’attitude de passivité de l’arrondissement.

Août

Le 14 août, Roxbury Capitale achète l’immeuble, évalué par la Ville à 3,1 millions. Il y a 29 deux et demie dans l’immeuble, qui se louent entre 630 $ et 650 $ par mois. « Ça a toujours été un bloc qui manquait d’amour, mais jamais comme c’est maintenant », résume Jean-François Gagnon, actuel locataire de l’appartement 2. Les tentatives d’éviction commencent rapidement après l’achat, témoigne Annie Lapalme.

Septembre

Le 7 septembre, un incendie se déclare dans l’immeuble. Le foyer de l’incendie, note le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM), est l’appartement 24, qui est en rénovation.

« Des travaux et des évictions semblent avoir lieu. Une bonne partie des salles de bains des logements non occupés sont complètement dégarnies et laissent donc des trouées [cheminées] plancher-plafond. Je n’ai pas vu de permis pour les travaux », note Isabelle Rioux, agente de prévention au SIM, lors de sa visite ce jour-là. L’immeuble est « troué au toit et [il y a de] de l’eau jusqu’au sous-sol ».

PHOTO FOURNIE PAR ENTRAIDE-LOGEMENT HOCHELAGA-MAISONNEUVE

L’un des appartements touchés par l’incendie du 7 septembre 2023

Une enquête sur les causes de l’incendie est réalisée par le SIM. « Les conclusions de cette enquête sur la cause de l’incendie ont déterminé que l’origine était accidentelle et reliée à l’utilisation d’équipement lors de rénovations », dit Kim Nantais-Desormiers, relationniste média au SIM. Un locataire, qui nous a demandé de taire son nom, car il craint les représailles du propriétaire, affirme avoir alerté la Commission de la construction du Québec (CCQ) sur le statut des travailleurs qui faisaient des rénovations dans l’immeuble. Selon lui, ils n’étaient pas qualifiés. La CCQ indique cependant ne pas avoir reçu de plainte.

Les locataires sont envoyés à l’hôtel. Cependant, certains restent sur place, dans un bâtiment éventré par le feu et l’eau, sans eau chaude ni électricité, précisent les rapports d’inspection. « Ces gens-là auraient pu être en danger », dit Annie Lapalme.

Dès le lendemain, les locataires retournent dans l’immeuble. « J’arrive chez nous, la porte du logement est barricadée. Je défonce ça pour entrer… il n’y a pas de chauffage », raconte Michel Séguin, de l’appartement 29. Plusieurs locataires signalent, comme lui, qu’ils n’ont pas de chauffage ou d’eau chaude.

Cinq jours plus tard, malgré les assurances du propriétaire, l’eau chaude n’est toujours pas rétablie. « Je mets l’accent sur l’urgence d’agir », note Radia Zatout, inspectrice chargée du dossier à l’arrondissement.

Et il y a d’autres problèmes dans l’immeuble. « L’un des locataires n’arrive pas à ouvrir sa porte, gonflée par l’eau, et doit passer par la sortie de secours pour accéder à son logement », note Annie Lapalme.

Cinq jours après l’incendie, Mme Zatout donne 60 jours au propriétaire pour réaliser les travaux. « Il est impératif d’agir avec diligence pour permettre la réintégration des locataires dans les plus brefs délais. » Le même jour, elle constate que le propriétaire a commencé des travaux… sans permis.

Le 16 septembre, alertée par la travailleuse sociale de l’un des locataires, Mme Zatout déclare l’appartement 16 inhabitable. Le plafond s’est effondré. Le locataire, manifestement vulnérable, n’a eu aucun contact avec le personnel de l’arrondissement depuis l’incendie. Sans toit sur la tête, il a déménagé chez sa sœur.

Octobre

Le 2 octobre, l’inspectrice Radia Zatout visite plusieurs logements. Les locataires se plaignent d’infiltrations d’eau, à la suite de l’arrosage massif des pompiers pour éteindre l’incendie.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRAIDE-LOGEMENT HOCHELAGA-MAISONNEUVE

L’état de l’un des logements après l’incendie de septembre et l’arrosage massif des pompiers pour éteindre le brasier

L’inspectrice balaie d’un revers de main les craintes des locataires : l’humidité est due à « du linge étendu à l’intérieur », à un « manque d’aération », écrit-elle dans les rapports d’inspection. « Les moisissures dans l’appartement 11 sont dans un placard où il y a probablement eu beaucoup de choses entreposées », répète-t-elle en entrevue à La Presse. Pour elle, la partie ouest de l’immeuble n’est pas problématique.

Au terme de cette visite, Mme Zatout a une nouvelle discussion avec Carlos Lourenco, le gestionnaire de l’immeuble, pour le presser d’effectuer les travaux au toit, qui est ouvert. « Je mets l’accent sur le fait que les travaux de toiture doivent être achevés avant vendredi, vu les conditions pluvieuses annoncées. » De fortes pluies menacent effectivement de s’abattre sur la métropole.

Le 4 octobre, Mme Zatout fait part à son supérieur, Patrick Roy, « de son inquiétude quant à l’état du chantier ». Encore là, aucun constat d’infraction n’est donné. Pourquoi ? « Le seul pouvoir que j’ai, répond-elle en entrevue, c’est d’ordonner à la personne d’avoir un permis. J’ai mis le plus de pression possible. Il nous a dit que le toit était sécurisé. »

Manifestement, quelque chose cloche encore, puisque dans la nuit du 7 octobre, après de fortes pluies, une inondation se produit dans l’édifice. Les locataires doivent de nouveau être évacués. Trois jours plus tard, l’entrepreneur déclare à l’inspectrice que l’inondation est due à l’accumulation d’eau dans le toit parce que le drain ne fonctionnait pas correctement. Douze logements sont déclarés insalubres par l’arrondissement. Quelques jours plus tard, le bâtiment entier est déclaré impropre à l’habitation par le SIM.

Dix jours plus tard, l’inspectrice Radia Zatout ordonne pourtant la réintégration des locataires. Le logement 2, celui de Mathieu Valade, est dans un état pitoyable. L’odeur nauséabonde qui y règne est « probablement due » au tapis mouillé qui se trouve dans le bain, note Mme Zatout.

Le 20 octobre, les travaux prévus dans l’appartement 2 ne sont toujours pas faits. L’inspectrice écrit au gestionnaire du bâtiment. « Veuillez prévoir les travaux dans les plus brefs délais afin d’éviter la formation de moisissures. » Pour tous les logements, « le chauffage n’est pas optimal », note-t-elle également.

Le 10 novembre, Henry Zavriyev écope d’un premier constat d’infraction, neuf semaines après l’incendie.

Novembre

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le trou dans le plafond de la salle de bain de l’appartement 2 est là depuis le 17 novembre dernier.

Le 17 novembre, un vendredi soir, une énième inondation se produit dans l’appartement de Mathieu Valade et Jean-François Gagnon. Le gestionnaire de l’immeuble lui répond, le samedi, que « ça va devoir aller à lundi ». Une semaine plus tard, il n’a aucune nouvelle de l’inspectrice de la Ville ou du propriétaire.

Le 28 novembre, les pompiers sont de nouveau appelés sur place, alertés par l’alarme incendie. Ils constatent que les murs pare-feu de l’immeuble ont été complètement dégarnis, laissant le système d’alarme à nu. Ces travaux étaient faits sans permis, ont constaté les pompiers. Deux nouveaux constats d’infraction sont donnés. Le même jour, le propriétaire offre aux locataires de l’appartement 2 de les reloger ailleurs dans l’immeuble. Le 7 décembre Mathieu Valade s’est retrouvé devant le TAL contre son propriétaire. Ce dernier a fini par accepter de payer le coût d’un hôtel, et d’un nouveau logement, en attendant la fin des travaux.