C, comme dans « création en confinement »
Professeure à l’École de design de l’UQAM, Amandine Alessandra a emménagé dans sa ville d’adoption à un étrange moment : au printemps 2020, alors que Montréal était en confinement. Pour cette spécialiste de la typographie qui s’intéresse à la création collective, cette contrainte posait tout un défi à relever. « Mais je me suis rendu compte que beaucoup de gens trouvaient des moyens d’être créatifs en groupe, tout en étant à distance. Je me suis alors demandé comment faire de la typographie en groupe dans ce contexte. » À Londres, où elle vivait avant de déménager à Montréal, elle avait déjà fait un projet avec des élèves d’école primaire qui s’étaient baladés dans leur quartier en prenant des photos de lettres de l’alphabet. À Montréal, les circonstances l’ont menée à être jumelée avec des étudiantes en science de l’éducation de l’UQAM.
M, comme dans « montre-moi donc ça »
Les futures enseignantes sont donc allées se promener dans la ville en recherchant des lettres. Pas celles, déjà toutes tracées, qui s’affichent sur les enseignes ou les affiches. Celles qui se cachent dans le paysage, et qui se révèlent avec un peu d’imagination. Des arabesques en fer forgé, des linteaux, des lucarnes, un assemblage de poutres… « On trouve par exemple facilement des “M” dans les “chiens assis”, sur les toits des maisons », dit Mme Alessandra. En visioconférence, elles ont montré leurs découvertes, choisi une forme pour chaque lettre, et rédigé quelques mots pour la mettre en valeur.
R, Y et les escaliers
Le “R”, en général, est assez difficile à trouver. Mais je pense que celui qu’on a trouvé à Montréal est vraiment beau. Il y a aussi le “Y”, qu’on a trouvé sur l’avenue Papineau. J’ai presque l’impression qu’on pourrait refaire tout un alphabet seulement avec des cages d’escaliers ! Il y a les escaliers devant les maisons, les escaliers derrière les maisons…
Amandine Alessandra, professeure à l’École de design de l’UQAM
P, comme dans « passer la puck »
Une fois l’abécédaire terminé, les étudiants en design graphique ont révélé les lettres cachées dans les images de leurs consœurs en éducation pour créer cette police de caractères unique. Et gratuite, dit Mme Alessandra, qui souhaite que tous ceux qui le désirent téléchargent et utilisent cette création. « On a créé en groupe une police de caractères qui retourne au collectif, puisqu’elle est libre de droits d’auteur et que tout le monde peut s’en servir. »
D’autres polices montréalaises
Neue Montreal
Le designer graphique Mathieu Desjardins, créateur de cette police de caractères accessible sous licence, écrit sur son site qu’il s’est inspiré des courants de design qui circulent dans la métropole depuis Expo 67. Sa création a notamment été adoptée par l’équipe de soccer CF Montréal.
Univers
Pendant longtemps, cette police de caractères créée par un typographe suisse en 1957 a été utilisée pour afficher le nom des stations dans le métro sur les bandes noires. Au cours des dernières années, avec la refonte de la signalétique dans le réseau de la STM, c’est la police Transit qui est utilisée sur les nouveaux panneaux de signalisation.
J, comme dans « jasons joual »
Depuis ce printemps 2020 où elles ont participé à l’atelier, les étudiantes sont devenues des enseignantes. Et certaines ont, à leur tour, montré aux enfants à « voir » des lettres dans le paysage. « Ç’a aussi été, pour moi, une occasion de découvrir le parler québécois ! », dit en riant la designer. La police de caractères porte justement un nom inspiré de la parlure d’ici : Placoter. « Et je trouve qu’elle ne ressemble pas aux alphabets que j’ai faits dans d’autres villes. C’est vraiment spécifique à Montréal. »
Consultez le site de la police d’écriture PlacoterThe Big Letter Hunt, Londres
Avant de créer un abécédaire montréalais, Amandine Alessandra en a créé deux à Londres – l’un dans le centre de la ville, l’autre dans l’Est – qui ont été rassemblés dans un livre d’images. Dans le quartier d’East London, elle s’est associée avec une architecte pour mener le projet avec des enfants. « East London n’est pas le plus beau quartier de la ville. Mais c’est un quartier populaire qui est beau à sa façon, et on trouvait que c’était important pour les enfants de reconnaître leur quartier dans un livre. »
Consultez l’abécédaire londonien d’Amandine Alessandra (en anglais)Une ville, mille typos
Il y a ceux qui s’inspirent de la ville pour créer une nouvelle typographie, et il y a ceux qui célèbrent les tas de typographies déjà présentes dans la ville. Le compte Instagram Typo Montreal s’intéresse justement à cette « typographie urbaine ». « C’est une façon de raconter l’histoire de la ville à partir de la typographie des enseignes de commerces », dit le designer Zachary Piña, qui a démarré en 2019 l’antenne montréalaise du projet chilien TypoValpo avec son amie Cristina Vergara. Deux fois par semaine, Zachary Piña et ses collaborateurs transmettent leurs trouvailles aux centaines d’abonnés du compte. Si Zachary Piña affectionne particulièrement les vieilles enseignes, d’autres, plus récentes, sont l’œuvre d’artistes lettreurs, comme le peintre-affichiste Claude Dolbec, qui a fait l’objet en 2018 d’un documentaire sur ce fascinant métier.
Regardez le documentaire Claude n’est pas mort (2018) Consultez le compte Instagram Typo Montreal