« La terre promise ». Un endroit « majestueux ». La place de « ceux qui ont réussi dans la vie ». Le petit Steve Galluccio et ses amis d'ascendance italienne ne manquaient pas de qualificatifs pour désigner le quartier quasi mythique de Saint-Léonard dans les années 1960, alors que la petite localité du nord-est de Montréal voyait sa population exploser à un rythme fou.

Galluccio, qui a fait sa marque comme scénariste avec des succès comme Mambo Italiano et Funkytown, n'a pas grandi à Saint-Léonard. Mais cette terre d'accueil des immigrants italiens, la véritable « Petite Italie » de Montréal selon plusieurs, occupait une place centrale dans son imaginaire. Au point où il présente ces jours-ci au théâtre Centaur une pièce à son sujet :  The St. Leonard Chronicles.

« En 1968, j'avais huit ans, et une de mes meilleures amies est déménagée à Saint-Léonard, dans un quartier conçu et construit par et pour les Italiens. C'était la terre promise des Italo-Montréalais. Aller là-bas, c'était une preuve qu'on avait réussi dans la vie », se souvient-il.

« La première fois que je suis allé visiter sa maison, c'était TELLEMENT beau pour l'époque. C'était un duplex, mais plus grand que les autres duplex de Montréal. Tout en brique blanche, avec du marbre dans l'entrée, un foyer. C'était très bien conçu. La cuisine était magnifique. On n'avait jamais vu ça dans ma famille, ni au sein de la classe ouvrière dont j'étais issu », poursuit-il.

« Il y avait beaucoup d'espace à Saint-Léonard, ce n'était pas comme chez moi dans le quartier Chabanel, ou à Saint-Michel, où toutes les maisons étaient attachées. C'étaient plutôt des maisons semi-détachées avec de grandes cours, c'était majestueux. »

Brique blanche et lions de plâtre

À l'époque, Saint-Léonard est en plein boom. De 925 personnes en 1956, la population passe à 52 000 personnes en 1971. Les typiques résidences de brique blanche, parfois ornées de lions kitsch sculptés dans la pierre et décorées d'énormes géraniums écarlates, deviennent la marque de commerce de Saint-Léonard. Tout comme les grands parcs, les larges boulevards et les petits cafés italiens qui ont poussé de part et d'autre de l'autoroute Métropolitaine, cette grande artère de béton qui tranche le quartier en deux.

La cohorte de résidants d'origine italienne qui s'est installée autour des années 1960 a façonné le quartier à son image. Plusieurs y sont toujours très attachés. Mais ils vieillissent. Et leurs enfants, eux, pour toutes sortes de raisons, sont souvent partis vers Laval, Rivière-des-Prairies ou d'autres quartiers lorsqu'est venu le temps de voler de leurs propres ailes.

Résultat : aujourd'hui, 28 000 résidants sur 72 000 se disent d'origine italienne à Saint-Léonard, soit environ 30 % de la population. Selon les statistiques de la Ville, la proportion d'aînés dans le coin est une des plus élevées des 19 arrondissements de Montréal. Plus d'une personne sur dix est âgée de 65 à 74 ans.

« Ce qui a beaucoup changé dans le quartier ces dernières années, c'est l'âge moyen des résidants, qui est beaucoup plus élevé. On bâtit des tours maintenant, comme Résidence Soleil ou Jardins d'Italie, pour la population vieillissante. Les personnes âgées ont des besoins différents. Quand on vend des articles de sport, comme moi, ça a un impact », explique Paul Micheletti, propriétaire du magasin Ici-Sport et président de la Société de développement commercial de la rue Jean-Talon Est.

Une aussi grande concentration d'aînés, c'est aussi beaucoup de gens qui ont besoin d'assistance ou de compagnie pour lutter contre l'ennui, explique Thérèse Fafard, 90 ans, bénévole au Centre des aînés du Réseau d'entraide de Saint-Léonard.

« Il y a beaucoup de foyers pour personnes âgées ici et les gens vivent de plus en plus vieux. En même temps, il y a moins de jeunes. Et les jeunes ont leur propre vie, ils s'occupent parfois moins des aînés. Le Centre répond vraiment à un besoin parce que beaucoup de gens souffrent de solitude. Et les autorités, elles, s'occupent beaucoup de la jeunesse et des sports, mais je trouve que les personnes âgées sont laissées pour compte », dit-elle.

Nouvelle vague

Pour insuffler du sang neuf dans le quartier, Saint-Léonard compte maintenant beaucoup sur l'immigration arabe, principalement des pays du Maghreb. Déjà, un résidant sur dix est né en Algérie. Comme les Italo-Montréalais des années 1950 et 1960, plusieurs d'entre eux voient Saint-Léonard comme une nouvelle « terre promise ».

Saoussen Ourghemmi représente bien cette nouvelle réalité. Elle et son mari Ali Marzouki, deux professeurs d'art à l'université en Tunisie, ont immigré au Québec en juillet 2012 et se sont installés à Saint-Léonard. En attendant de trouver un emploi, la coquette mère de famille donne des cours d'arts plastiques au Carrefour des femmes de Saint-Léonard. Elle s'y sent bien accueillie. « Dans le groupe, ce sont beaucoup des femmes âgées italiennes. Elles sont intéressées à nous connaître », dit-elle.

Ali Marzouki, grand admirateur du sculpteur québécois Armand Vaillancourt, anime aussi des ateliers d'art pour les enfants du quartier. Ensemble, ils ont formé la Ligue des artistes tunisiens du Canada, qui a présenté l'exposition « Hiver montréalais aux couleurs tunisiennes ». Il adore son nouveau quartier. « Les Maghrébins viennent ici, car c'est calme, c'est propre et c'est très bien entretenu. Les Italiens ont tellement galéré pour entretenir leurs immeubles ! », lance-t-il.

Il déprime toutefois un peu quand ses amis immigrants et lui se réunissent et qu'il compte le nombre de diplômes autour de la table, pour un groupe où plusieurs sont chômeurs ou occupent de petits emplois. « Ça n'a aucun sens, les difficultés pour faire reconnaître les équivalences des diplômes. On se rencontre entre amis, il y a d'anciens ingénieurs, avocats, médecins, personne n'arrive à travailler dans son domaine. Toutes ces compétences perdues pour le pays ! », s'exclame-t-il.

Le couple habite présentement un immeuble quelque peu défraîchi en bordure d'une ligne électrique à haute tension, dans un des coins un peu moins fortunés du quartier. Mais il ne se laisse pas abattre. « Je ne veux pas être un fardeau pour la société. Je ne suis pas venu ici pour faire du surplace », lance Ali Marzouki avec détermination.

En attendant le métro

S'il y a bien un endroit à Montréal où le plan de prolongement du métro aura un impact, c'est à Saint-Léonard. Le projet actuel prévoit quatre nouvelles stations de la ligne bleue dans l'arrondissement ou à proximité de ses frontières. « Le plus gros défi pour les commerces ici, c'est l'embauche de personnel. Si j'embauche quelqu'un de l'extérieur et qu'il doit faire une heure d'autobus pour venir, il ne restera pas longtemps. Le métro va nous aider à emmener plus de monde dans le coin pour la business », explique Paul Micheletti.

Saint-Léonard

Taux de participation en 2009 : 38,91 % (ensemble de Montréal :  39,4 %)

Maire élu : Michel Bissonnet (69,72 % des voix)

À surveiller en 2013 :

Équipe Denis Coderre pour Montréal s'est assurée d'une longueur d'avance dans Saint-Léonard en recrutant dans ses rangs tous les élus actuels de l'arrondissement, soit le maire Michel Bissonnet et les conseillers Dominic Perri, Mario Battista, Robert L. Zambito et Lili-Anne Tremblay. Tous sont issus d'Union Montréal, le défunt parti de Gérald Tremblay, Michael Applebaum et Frank Zampino. Et tous ont été élus avec des majorités écrasantes au scrutin de 2009.

La Coalition de Marcel Côté et Projet Montréal tenteront de profiter des déboires d'Union Montréal pour améliorer leur score.

Le Groupe Mélanie Joly annonçait sur son site web deux candidats aux postes de conseillers municipaux : Tommasco Di Paolo et Tommaso Di Paola. Après un appel de La Presse, le parti a reconnu qu'il s'agissait en fait de la même personne.