M. Kourdy se rappelle très bien pourquoi il a quitté son Liban natal pour immigrer au Canada : la guerre. Mais quand on lui demande pourquoi il a choisi de s'établir à Saint-Laurent, on peut voir ses sourcils froncer dans le rétroviseur de son taxi. Au détour d'une rue, la mémoire lui revient quand il croise son premier appartement : c'est son estomac qui avait tranché.

« Le pita ! Quand je suis arrivé, je n'aimais pas le pain des sandwichs, alors je me suis mis à chercher un endroit où trouver du pita. J'ai entendu parler d'un petit dépanneur libanais qui en vendait, alors j'ai décidé de m'établir tout près », se rappelle M. Kourdy. Depuis, le chauffeur de taxi n'a jamais quitté le quartier Chameran, que les habitants aiment mieux appeler le petit Beyrouth.

Depuis 40 ans, Saint-Laurent sert de porte d'entrée pour nombre d'immigrants. L'arrondissement est d'ailleurs aujourd'hui le plus multiethnique de la métropole : plus de la moitié (54 %) de ses habitants est née à l'extérieur du pays. La proportion dépasse les 80 % si on tient compte des enfants de parents nés à l'étranger.

L'arrivée massive d'immigrants a débuté au milieu des années 70, se rappelle Sabine Eid, résidante de Saint-Laurent. La retraitée en connaît un rayon sur le sujet, elle qui a fondé le CARI, un organisme qui aide les immigrants à réussir leur atterrissage dans Saint-Laurent.

Il y a d'abord eu les boat people, ces réfugiés d'Asie du Sud-Est. « C'était des familles nombreuses, avec sept ou huit enfants, la grand-mère et aussi la grand-tante. Ce n'était pas facile de trouver des appartements. » Un propriétaire dans Saint-Laurent qui cherchait à louer plusieurs logements a toutefois accepté d'ouvrir ses portes à ces nouveaux arrivants. « Jour après jour, je faisais visiter ces appartements aux familles laotiennes et cambodgiennes. Ce n'était pas le grand luxe, mais c'était potable. C'est comme ça que la rue et le quartier se sont remplis d'Asiatiques », relate Mme Eid.

En plus des boat people, la guerre au Liban de la fin des années 70 a entraîné une vague de réfugiés en provenance du Moyen-Orient, qui ont investi l'est de Saint-Laurent.

Depuis, les immigrants n'ont pas cessé d'affluer. « Aujourd'hui, c'est beaucoup l'effet du bouche à oreille », explique Aïcha Guendafa, actuelle directrice générale du CARI.

Destination famille

L'immigration massive s'accompagne de l'arrivée massive d'enfants. Alors que les familles montréalaises partent de plus en plus vers la banlieue, Saint-Laurent vit le problème inverse : les familles y affluent.

L'arrondissement a vu 3620 familles s'ajouter depuis 10 ans, une hausse de plus du quart. En fait, sans Saint-Laurent, le nombre de familles aurait reculé à Montréal. Les familles sont également plus grandes que dans le reste de l'île. Une famille sur cinq compte trois enfants ou plus, l'une des plus fortes proportions dans l'île.

« C'est une pression énorme », reconnaît Diane Lamarche-Venne, présidente de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB). Les écoles de Saint-Laurent doivent composer avec l'arrivée de plus de 1000 nouveaux élèves à chaque rentrée. Les projets d'agrandissement et de construction de nouvelles écoles répondent à peine à la demande, si bien que de nombreux établissements ont dû sacrifier leur bibliothèque, transformée en classe.

L'afflux d'enfants se fait sentir jusque sur les terrains de soccer. Malgré ses 18 terrains, le parc Marcel-Laurin ne répond pas à la demande. Govin Veerasami, qui préside le club de soccer local, aimerait bien récupérer le seul terrain de baseball pour que l'arrondissement le consacre au ballon rond. « On augmente le nombre de places chaque année, mais on n'a quand même pas le choix de refuser de 150 à 200 enfants chaque saison », dit-il.

Porte tournante

Si Saint-Laurent est devenu au fil du temps une porte d'entrée, il est aujourd'hui une porte tournante, nuance toutefois Aïcha Guendafa. « Un bon nombre ne reste pas, c'est un lieu de passage. Le temps de trouver un travail, de pouvoir acheter une maison, on les retrouve à Laval, parce que c'est moins cher. »

La population immigrante a beau être élevée, Saint-Laurent a réussi à éviter la ghettoïsation, assure néanmoins Mme Guendafa. « On n'a jamais eu de problème, on n'a jamais eu le phénomène des gangs de rue ou d'émeutes comme à Montréal-Nord. » Plusieurs dans le secteur croient que cette harmonie repose sur le fait qu'aucun groupe ethnique n'est majoritaire.

Le meilleur endroit pour constater le mélange des cultures dans Saint-Laurent est probablement le parc Hartenstein, par une journée ensoleillée. Longtemps avant d'y arriver, l'odeur des grillades se fait sentir. « Des gens viennent ici tous les jours pour faire des barbecues. Il doit y avoir de 20 à 30 nationalités qui se mélangent ici », explique un habitué, Sereyvuth-Khuy Tang.

L'arrondissement a installé dans ce parc sept barbecues autour desquels les gens se rassemblent par communauté. La cohabitation se déroule bien même si des conflits de voisinage éclatent parfois, l'endroit étant victime de son succès, dit M. Tang. « Il n'y a pas assez de barbecues, alors il y a parfois des conflits entre les leaders des communautés pour les réserver. Il en faudrait plus », dit M. Tang.

Arrivé à Saint-Laurent il y a 30 ans dans la vague des boat people, ce Cambodgien d'origine ne déménagerait pour rien. « Saint-Laurent, c'est comme mon pays natal. »

Sentiment d'appartenance

La ville a beau avoir fusionné avec Montréal en 2001, le sentiment d'appartenance envers Saint-Laurent est très fort parmi les immigrants. Karima Charkani a beau être arrivée au Canada depuis un an à peine, ne lui dites pas qu'elle habite Montréal, elle qui parle toujours de « Ville Saint-Laurent ».

La Marocaine d'origine a choisi Saint-Laurent comme destination après avoir fui la guerre en Côte d'Ivoire, où sa famille vivait depuis de nombreuses années. « Pour un nouveau départ, pour un immigrant, c'est idéal », dit-elle. Elle vante la tranquillité des lieux, les nombreux parcs où ses enfants peuvent jouer au soccer.

Seule ombre au tableau de Mme Charkani : l'emploi. La femme dit peiner à se trouver du travail, faute de bien parler anglais.

Avec plus de 110 000 emplois sur son territoire, dont les deux tiers abritent un parc industriel, Saint-Laurent est le deuxième coeur économique de Montréal, après le centre-ville. Pourtant, le taux de chômage est plutôt élevé chez les Laurentiens, une situation tenant beaucoup au fait que les immigrants peinent à faire reconnaître leurs diplômes.

Saint-Laurent

Taux de participation en 2009: 33,07% 

(ensemble de Montréal: 39,4%)   

Maire Élu: Alan DeSousa (73% des voix)

Enjeux en 2013

Les postes sont chaudement disputés. Alan DeSousa, qui était un membre de la garde rapprochée de Gérald Tremblay depuis 2002, fait maintenant campagne pour Denis Coderre. Les trois principaux partis rivaux y présentent des candidats, autant à la mairie d'arrondissement que dans les districts.  M. DeSousa affronte Marcello Barsalou (Coalition Montréal), William Fayad (Projet Montréal) et François Ghali (Vrai changement pour Montréal).