Fort McMurray est la capitale des sables bitumineux canadiens. C'est aussi la ville principale de Fort McMurray-Athabasca, dans le nord de l'Alberta, la circonscription où on vote le moins au pays. En 2008, à peine 35,8% des électeurs sont allés voter. En 2006, c'était 48%.

Pourquoi? Très simple: ici, les gens sont occupés à travailler.

«En 2008, après les élections, j'ai fait faire un sondage, pour comprendre pourquoi si peu de gens votaient, raconte Brian Jean, le député conservateur de Fort McMurray-Athabasca. Et pour 54% des gens, la raison principale était le travail.»

«Fort Mac», comme on dit, est une sorte de bulle. Des milliers de travailleurs y débarquent, parfois avec l'idée de rester longtemps, souvent avec l'objectif de retourner chez eux à Terre-Neuve, au Québec, au Nouveau-Brunswick, après avoir rempli leur compte en banque. Résultat: le rapport à la chose politique, dans cette bulle, s'effiloche. Ce qui explique les taux de participation anémiques aux élections fédérales, un phénomène qui se vérifie également aux élections provinciales et municipales.

L'exploitation des sables bitumineux attire des Canadiens de partout au pays. Ils viennent bosser pour Suncor, chez Canadian National Ressources ou d'autres compagnies reliées à l'or noir. Ils sont souvent jeunes, un autre facteur qui explique pourquoi le taux de participation, ici, est si bas.

«On compte beaucoup de jeunes personnes, qui ont autour de 30 ans, poursuit Brian Jean. Et 20% de ma circonscription est composée d'autochtones. Ce sont deux groupes qui, traditionnellement, votent peu.»

Mais le premier facteur d'abstention est le travail. Chez le concessionnaire Harley-Davidson, Eric Bergenstein, le propriétaire, m'explique la réalité des choses. «Chaque heure du jour, dans cette ville, le tiers des gens travaille; le deuxième tiers dort et l'autre tiers a congé. Donc, chaque heure du jour, il n'y a que le tiers des gens dont on peut espérer qu'ils vont faire quelque chose. Comme voter.»

Peter, un Néo-Brunswickois d'origine, employé de Canadian National Resources, qui vient d'acheter une moto chez Eric Bergenstein, se joint à la conversation: «Ici, un gars comme moi travaille 12 heures par jour. Si tu comptes le temps passé à te préparer le matin, le temps passé dans l'autobus pour aller au plant, tu passes 14, 15 heures à faire des choses liées au travail. Donc, le soir, quand t'arrives à la maison, ce n'est pas évident de te rappeler d'aller voter.»

Brian Jean: «Dans d'autres circonscriptions, les gens ont parfois de la difficulté à voter après avoir travaillé huit heures. Imaginez après dix, douze. L'autre problème: après de telles journées, l'idée d'aller se mettre en file, pendant une heure, pour aller voter, rebute bien des gens.»

Élections Canada, voyant la particularité de Fort McMurray, a décidé d'installer des bureaux de vote par bulletins spéciaux sur les lieux mêmes des camps de travail de la région. Le vote par bulletin spécial est une mesure qui permet aux électeurs de voter pour leur candidat favori, dans leur circonscription de résidence, même s'ils travaillent loin de cette résidence. D'autres lieux isolés, comme le chantier du barrage de La Romaine, sur la Côte-Nord, sont visés par cette mesure spéciale.

Est-ce que ce sera suffisant pour que Fort McMurray-Athabasca perde son titre de circonscription canadienne la moins intéressée à exercer son droit de vote? Pas sûr. Pas sûr du tout.

À Fort McMurray, les travailleurs ont métabolisé l'importance capitale de l'extraction des sables bitumineux pour leur bonheur personnel. Le travail, ce n'est pas qu'une occupation, ici. C'est un état d'esprit. Le lien qu'ont les travailleurs comme Peter avec la productivité de leur employeur est charnel, tout-puissant et supplante la plupart des autres préoccupations de la vie courante.

Je dis à Peter que la loi prévoit que chaque employé a droit à quatre heures, payées par l'employeur, pour exercer son droit de vote. Sa réponse symbolise parfaitement pourquoi une élection n'est qu'un bruit de fond qu'on finit par oublier, à Fort McMurray: «Bien sûr. Mais le pétrole, on le charge dans les camions 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.»

Le pire, c'est que Peter fait partie de la minorité qui, le 2 mai, ira voter. Il a toujours voté. Car, dit-il, «voter, c'est ce qui me donne le droit de bitcher». Peter votera PC. Dans une circonscription où Brian Jean a raflé 60% des voix en 2004, 65% en 2006 et 67% en 2008, Peter fait partie de la majorité, à cet égard.

Comprend: environ le quart nord-est de la province. Sa population est de 88 882 dont 65 496 électeurs sur une superficie de 180 320 km2. Les circonscriptions limitrophes sont Peace River, Yellowhead, WestlockSt. Paul, DesnethéMissinippiRivière Churchill et Western Arctic. L'actuel député est le conservateur Brian Jean.

SOURCES: ÉLECTIONS CANADA, LA PRESSE