Pressé de questions au sujet du traitement réservé par les autorités afghanes à des détenus que leur avait remis l'armée canadienne, le gouvernement fédéral a confié à l'ex-juge de la Cour suprême Frank Iacobucci le mandat d'analyser les documents que l'opposition réclame à grands cris depuis des mois.

Un ordre du Parlement, adopté le jour même de la suspension des travaux, le 10 décembre, exige que le gouvernement fournisse à l'ensemble des députés les documents cités par le diplomate Richard Colvin dans un témoignage incendiaire qu'il a rendu devant le comité ad hoc sur l'Afghanistan, au mois de novembre dernier.

Au nom de la sécurité nationale, le gouvernement refusait jusqu'à présent de dévoiler les documents non censurés.

À la première occasion, hier, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a offert un début de réponse à l'ordre de la Chambre.

«Le gouvernement reconnaît que, dans les circonstances, il est opportun qu'un tiers indépendant passe en revue les décisions des autorités de dévoiler ou non certains renseignements», a dit le ministre.

Ex-juge du plus haut tribunal du pays de 1991 à 2004, Frank Iacobucci devra déterminer quels documents pourront être remis aux députés sans que cela menace la sécurité nationale, les activités des forces armées et les intérêts du Canada à l'étranger.

«M. Iacobucci me remettra un rapport, a dit M. Nicholson. Dans le cas où des renseignements pourraient être préjudiciables, il fera des recommandations à savoir si une partie de l'information ou un résumé peuvent être dévoilés, ou si on peut imposer des conditions à la sortie des documents.»

Tentative de gagner du temps, demi-mesure, contournement du problème, les partis de l'opposition ont aussitôt rejeté l'initiative du gouvernement et continué de réclamer une enquête publique. Ils menacent en outre d'accuser les conservateurs d'outrage au Parlement s'ils ne fournissent pas les documents non censurés.

Au moment où le ministre Nicholson annonçait, en Chambre, la mesure prise par son gouvernement, deux députés du NPD avaient convoqué la presse pour lancer un ultimatum aux troupes de Stephen Harper.

«Ça fait maintenant 106 jours que le NPD réclame une enquête publique. Ça fait 85 jours qu'un ordre du Parlement a été adopté. Selon nous, c'est aussi contraignant qu'un ordre de la cour», a estimé le critique néo-démocrate en matière de défense, Jack Harris.

Le NPD donne au gouvernement jusqu'au 19 mars pour fournir une véritable réponse aux parlementaires.

«La solution du gouvernement de demander à l'ex-juge Iacobucci de se pencher sur le dossier n'est qu'une tactique pour gagner du temps et c'est un outrage au Parlement», a dit M. Harris.

Au Bloc québécois, on plaide la primauté du Parlement, qui a le pouvoir, selon l'opposition, d'imposer la distribution des documents.

«Ce n'est pas une affaire qui doit être déférée à un juge. C'est un ordre qui doit être exécuté par le gouvernement, a dit le leader parlementaire bloquiste, Pierre Paquette. La Chambre a voté sur cette question-là. Le comité (sur l'Afghanistan) considère qu'il a besoin de ces documents.»

Pour les libéraux de Michael Ignatieff, l'analyse indépendante des documents au regard de la sécurité nationale n'est tout simplement pas suffisante.

«C'est une demi-mesure, ad hoc, improvisée un vendredi matin pour éviter un ordre du Parlement de produire des documents, a dit le député Dominic Leblanc. Nous croyons que le gouvernement devrait aller au bout et utiliser les compétences du juge Iacobucci pour faire une enquête judiciaire publique sur toute la question des allégations de torture et non pas simplement donner au juge Iacobucci le mandat de décider ce qui demeure caché et ce qui sera rendu public.»

Le ministre Nicholson n'a pas précisé à quel moment débutait le mandat de M. Iacobucci ni à quelle date il devra produire son rapport.