«Notre famille a été déchirée sans aucune bonne raison. Ce type, Luka Rocco Magnotta, il aurait découpé un homme en pièces et il a droit à moins de couverture médiatique que ce que subit mon frère pour avoir fait de la business.»

Au bout du fil, Norma Accurso Bellassare en a gros sur le coeur. Inconnu avant 2009, le nom «Accurso» est devenu pour beaucoup synonyme des problèmes de corruption et de collusion qui gangrènent l'industrie de la construction au Québec. Cette notoriété a sans doute secoué les proches de Tony Accurso.

La soeur aînée du clan Accurso a refusé de nous accorder une entrevue formelle, comme tous les membres de sa famille immédiate que nous avons contactés. Dans un bref entretien, elle souligne cependant qu'elle soutiendra son frère «jusqu'au bout».

«Quatre-vingt-dix pour cent des gens que nous connaissons ne vous diraient que des choses positives à son sujet.»

Avant de raccrocher, elle ajoute: «Nous rêvons depuis longtemps de quelqu'un qui pourrait sortir la vraie histoire dans les médias et raconter le genre d'homme qu'il est réellement.»

Les problèmes d'Accurso ont débuté en 2009, lorsque l'émission Enquête de Radio-Canada a révélé que les syndicalistes Michel Arsenault et Jean Lavallée avaient séjourné sur son luxueux yacht Touch. Avec le temps, la liste des passagers s'est allongée: l'ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal Frank Zampino, l'ex-maire de Mascouche Richard Marcotte, le maire de Terrebonne Jean-Marc Robitaille, l'ancien DG de la Ville de Montréal Robert Abdallah.

Même s'il est complètement passé sous le radar dans la sphère publique avant 2009, la vie d'Accurso n'a pas été un long fleuve tranquille.

La trahison

Au milieu des années 80, son mariage avec sa première femme Louise Caron est en eaux troubles. Tony, qui est lui-même volage, découvre que Louise a une liaison avec son beau-frère et associé Mario Taddeo. L'ex-bras droit de Vincenzo Accurso a épousé Géraldine, l'une des deux soeurs aînées de Tony, en 1961. Géraldine et Mario Taddeo ont cinq enfants.

À l'époque, Taddeo et Tony possédaient conjointement Louisbourg Construction. Mais après cet épisode, Tony rachètera les parts de Taddeo, tandis que Taddeo conservera la carrière Mirabel.

Jimmy et Lisa vivront le plus souvent avec leur père, tandis que Marco, qui est encore un bébé, sera la plupart du temps confié à sa mère.

C'est la juge à la retraite Andrée Ruffo, à l'époque avocate, qui représentera les intérêts des enfants dans la cause. «Moi, je sais pour avoir connu M. Accurso que c'est un homme généreux parce qu'il aimait profondément les gens, et pas nécessairement parce qu'il voulait en retirer quelque chose», se souvient-elle.

Elle le décrit comme un homme «réservé» et «extrêmement respectueux». Est-elle surprise par la tournure des événements? «Le manichéisme blanc-noir, bon-mauvais, arrêtons! Si on se regarde dans le miroir, on n'est pas tout bons, tout mauvais nous non plus, alors calmons-nous!»

Autre vedette du droit impliquée dans un des litiges conjugaux de l'époque: le célèbre juge à la retraite John Gomery, qui a présidé la commission d'enquête sur le scandale des commandites. Il a été l'avocat d'Accurso.

Le drame

Mario Taddeo, un collecteur de fonds pour le Parti conservateur, a connu une fin tragique. En 1987, un tueur masqué l'abat d'une balle au visage au fond de sa carrière. L'un de ses employés meurt aussi dans la fusillade. L'affaire ne sera jamais élucidée. La police soupçonne que le meurtre est l'oeuvre d'un tueur à gages. Avant d'abattre Taddeo, le meurtrier lui demande sa carte d'identité, ce qui laisse croire qu'il ne le connaissait pas.

La Presse a joint l'enquêteur responsable du dossier à l'époque, Gaétan Rivest. Cet ancien caporal controversé de la Sûreté du Québec a fait de la prison en 2001 après avoir plaidé coupable à des accusations d'extorsion et de menaces.

«On avait eu des soupçons sur Tony. Mais il a passé le test du polygraphe haut la main. Il n'y avait plus aucun doute sur son innocence après ça», a déclaré Rivest en entrevue.

Quant à Louise Caron, elle a refait sa vie avec l'un des policiers qui ont enquêté sur le meurtre de Taddeo, John Galianos.

«C'est un set-up»

Aujourd'hui, Tony Accurso n'est pas au bout de ses peines avec le système de justice. Outre les accusations fiscales et criminelles qui pèsent contre lui, il fait aussi face à deux accusations de conduite avec les facultés affaiblies.

L'affaire se produit en octobre 2011. Peu après 19h, lorsque la police régionale de Deux-Montagnes reçoit un appel pour conduite «erratique» sur l'autoroute 640. Après avoir enquêté sur la plaque d'immatriculation, les policiers découvrent que la Lexus noire appartient à Simard-Beaudry. Ils se dirigent donc vers le domicile d'Accurso. La policière perçoit une odeur de «boisson alcoolisée». Elle lui fait passer un éthylomètre. «Quelques secondes plus tard, la lecture mentionnait FAIL», peut-on lire dans le rapport que La Presse a obtenu grâce à la Loi d'accès à l'information. «J'ai aussitôt informé le suspect du résultat. Celui-ci a dit: «I can't believe this, it can't be true.» Il répétait sans cesse: «This is a set-up. Someone followed me. Your boss sent you after me.» » («Je ne peux pas y croire, ça ne peut pas être vrai.» Il répétait sans cesse: «C'est un coup monté. On m'a suivi. Votre patron vous a envoyé à mes trousses.»)

Une fois au poste de police, Accurso fournira deux autres échantillons d'haleine. Résultats: 142 mg/100 ml et 136 mg/100 ml. La limite maximale de consommation d'alcool permise par la loi est de 80 mg/100 ml. Accurso a plaidé non coupable. Le procès n'a pas encore eu lieu.

Beau temps, mauvais temps, Tony Accurso n'a jamais pris la parole publiquement. Lors de son témoignage qui débutera mardi à la commission Charbonneau, il devra sortir de l'ombre.