Difficile de refuser de faire des dons aux partis politiques sans avoir des bâtons dans les roues par la suite, a déclaré aujourd'hui devant la commission Charbonneau le dirigeant d'une grande entreprise de pavage et d'asphalte. Le PDG de Maskimo, Louis Marchand, y a livré un témoignage franc, où il a braqué les projecteurs sur la pratique controversée du financement sectoriel.

«On est dans l'industrie depuis 1957. La fameuse loi de René Lévesque sur le financement populaire c'est un mythe! C'est le plus grand drame d'hypocrisie collective au Québec! Tous les partis politiques sollicitent les gens qui travaillent avec le gouvernement, pas seulement les gens qui travaillent dans l'industrie de la construction », a-t-il déclaré.

Normand Trudel a invité le témoin à un cocktail de Pauline Marois

En 2008 ou 2009, Marchand a assisté à un cocktail de financement du parti québécois en présence de Pauline Marois à la demande de l'entrepreneur Normand Trudel.

Ce dernier a été arrêté par l'UPAQ en octobre 2012 dans le cadre d'un coup de filet visant à démanteler un réseau de partage de contrats municipaux sur la Rive-Nord de Montréal. Il fait face à six chefs d'accusation, dont fraude et complot. Au moment de l'invitation, Trudel était un client de l'une des carrières de Maskimo.

Il s'agissait d'une rencontre privilégiée avec la chef de l'opposition, où étaient présents seulement 15 entrepreneurs ou dirigeants de firmes de génie-conseil. Marchand y a assisté, mais a contribué avec un prête-nom, car il ne voulait pas aggraver sa relation avec la ministre des Transports de l'époque, Julie Boulet.

« Ce que je trouve pathétique là-dedans c'est de voir les partis politiques se relancer la balle et dire: ce n'est pas nous autres, c'est vous autres, ce n'est pas les libéraux, ce sont les péquistes. C'est toute la même affaire. Pauline Marois a dénoncé notre industrie, mais Pauline Marois était à cet évènement-là.»

Julie Boulet : « Je suis déçue »

Alors qu'il travaillait au sein de l'entreprise familiale, en 2004, une attachée politique de Julie Boulet (alors ministre déléguée aux Transports) téléphone à Marchand pour lui demander d'acheter quatre billets à 1000$ pour assister à un cocktail du PLQ à Shawinigan.

Marchand refuse d'y assister, se trouvant défavorisé par rapport à ses concurrents lorsque le MTQ accordait des contrats sans appel d'offres (contrats tarifés). «Je lui ai dit: ce n'est pas drôle ce qui arrive. Nos concurrents ont des contrats sans appel d'offres publiques et nous, on doit toujours se battre pour les avoir à petit prix. »

Le jour même, Julie Boulet appelle directement Marchand pour lui dire qu'elle n'y est pour rien et qu'elle est « très déçue » qu'il n'assiste pas à son cocktail.

Conséquences

Entre 2001 et 2009, les employés de Maskimo ont effectué près de 100 000$ en dons politiques. (62 700$ au PLQ, 32 000$ au PQ et 4100$ à l'ADQ). La pratique a cessé en 2009, lorsque Marchand a repris les rênes de l'entreprise fondée par son grand-père.

Quel est l'avantage de se présenter à un cocktail de financement politique, a demandé la procureure de la commission, Me Sonia Lebel. « Ça nous permet de rester en dessous des écrans radars. Si tu dis non, tu peux en subir les conséquences. »

À partir du moment où il a demandé à ses employés de ne plus contribuer aux partis politiques, Marchand pense qu'il y a eu une ingérence politique pour mettre un frein à ses projets qui se sont retrouvés sous la pile. « Je n'ai jamais sollicité l'aide du bureau de Mme Boulet. On a toujours essayé de régler par la voie légale et ça fait sept ans que ma carrière n'est pas ouverte. »

Selon un tableau présenté à la commission, Maskimo n'a par ailleurs plus raflé de contrats tarifés (contrats sans appel d'offres dont le prix est fixé par le MTQ) après 2008, contrairement à ses concurrents. Les contrats tarifés sont accordés à la discrétion de l'appareil politique.

Les donateurs «attendent toujours quelque chose en retour»

Les gens qui acceptent de contribuer aux partis politiques espèrent toujours un retour d'ascenseur, a déclaré ce matin devant la commission Charbonneau, l'ex-directeur de cabinet de la ministre déléguée aux Transports, Julie Boulet et l'attaché de presse de l'ex-ministre du Tourisme, Nathalie Normandeau. La commission l'a entendu avant M. Marchand.

«Je ne me mettrai pas la tête dans le sable, les gens qui vont accepter de donner un montant d'argent attendent toujours quelque chose en retour», a déclaré Luc Berthold, qui a aussi été maire de Thetford Mines de 2006 à récemment.

À son avis, les donateurs veulent se rapprocher de la classe politique. «Ils veulent créer des relations avec eux, ils veulent être connus, pas nécessairement tout le temps des gens qui ont des choses à demander immédiatement, mais c'est des gens qui veulent être vus en compagnie des politiciens pour que le politicien si jamais ils ont besoin d'être écoutés, ils se souviennent d'eux. D'après moi, c'est la motivation première. »

IMAGE TIRÉE D'UNE VIDÉO

Luc Berthold