La crise du logement fait mal, et ce n’est que le début. À quoi ressemblerait une sortie de crise ? J’ai demandé à des experts de proposer des idées audacieuses. Voici la quatrième d’une série de rencontres.

S’il y a un endroit où la crise du logement ne se réglera pas, c’est là où elle est étudiée en ce moment. Le débat sur le projet de loi 31 manque d’ambition et de transparence.

La ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, continue de tester inutilement les nerfs de l’opposition. Ses propositions ciblent des aspects limités de la crise, comme la cession de bail et les indemnisations en cas d’éviction. Et elles ne sont pas très bien ficelées.

Pas moins de 24 des 38 articles du projet de loi ont dû être réécrits. Même si la nouvelle version a été approuvée par le Conseil des ministres, elle refuse de les dévoiler en bloc à l’opposition.

Les libéraux, les solidaires et les péquistes les découvrent en cours de route. Ils travaillent peut-être dans le vide en analysant des articles qui seront modifiés ou abrogés.

En attendant un véritable plan d’action, je poursuis notre série qui donne la parole à des experts pour proposer des solutions afin de régler la crise.

Voici les idées de Laurent Levesque, directeur général de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE). Il revient d’un autre séjour en Europe pour s’inspirer de ce qui fonctionne là-bas. Ce qu’il recommande va bien au-delà des étudiants.

La version pour lecteurs pressés : le logement à but non lucratif ne peut plus reposer sur les seules épaules des bénévoles. De gros groupes doivent contribuer à l’effort. Avec du personnel qui est payé pour ce travail, sans toutefois céder à la logique du marché et de la spéculation.

La version détaillée, maintenant.

Le logement à but non lucratif est surtout le fait d’initiatives citoyennes. Un groupe de bénévoles identifie un besoin et monte un dossier, avec l’aide de spécialistes en développement – les « ressources techniques ».

« C’est un bon modèle, mais il ne suffit plus, résume M. Levesque. Il faut construire plus d’unités, plus rapidement. On ne veut pas mettre fin à cette formule. On veut plutôt en ajouter une autre. »

Près de 100 000 logements à but non lucratif existent au Québec. Quelque 2500 groupes de bénévoles les gèrent.

Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, le nombre de mises en chantier devra plus que doubler pour répondre à la demande. « Mais on ne trouvera pas deux fois plus de bénévoles », prévient M. Levesque.

Sa proposition : changer d’échelle de grandeur pour intégrer de nouveaux grands acteurs dans le non-lucratif.

On ne partirait pas de zéro. Il y a déjà la Coopérative d’habitation des Cantons de l’Est, Interloge (à Montréal) et SOLIDES (à Drummondville). Pour que ce modèle se propage, M. Levesque souhaite alléger la réglementation et faciliter le financement.

Pour chaque nouveau projet, un promoteur doit ouvrir un dossier. Il remplit un formulaire Excel pour demander une subvention. Il la reçoit selon ce qui est disponible dans le programme. Le projet doit être adapté pour rentrer dans la case du formulaire.

« Parfois, la somme est insuffisante. Mais il n’est pas impossible qu’elle dépasse les besoins », rapporte M. Levesque.

Cette formule rigide n’a pas vraiment changé avec le nouveau Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ), constate-t-il. Il propose que le financement se fasse par projet, avec une seule enveloppe par promoteur.

On pourrait mettre les ressources en commun pour générer des économies d’échelle, notamment dans la gestion et l’entretien des logements. Et en grossissant, un développeur obtiendrait plus facilement des prêts, car ses actifs serviraient de garantie. Ça deviendrait un cercle vertueux.

Laurent Levesque, directeur général de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant

Ce modèle a fait ses preuves en Europe, note M. Levesque, qui revient d’un séjour professionnel là-bas. « En Autriche, la moitié des groupes de logement à but non lucratif possèdent plus de 2000 unités. Le Danemark, les Pays-Bas et la France misent aussi là-dessus. »

À ses yeux, la pénurie de main-d’œuvre et le resserrement du crédit sont des arguments additionnels. « Le secteur non lucratif stabilise le volume de mises en chantier dans ce contexte, car il n’est pas affecté par la baisse de la rentabilité. »

Autre enjeu peu sexy mais important : dans le PHAQ, toutes les catégories de logement à mission sociale (pour étudiants, aînés, personnes à très faible revenu) se concurrencent. Il y a un budget global, et chacun soumissionne pour recevoir sa part. Avec le risque que les projets pour étudiants enlèvent de l’argent par exemple à ceux pour les personnes vulnérables.

Les arbitrages devraient se faire de façon transparente, en allouant à chaque catégorie une part prédéfinie, au lieu de laisser les gens compétitionner en coulisses, dit M. Levesque.

Et le financement ? Les vieilles habitudes ne sont plus adaptées à la crise. M. Levesque n’ose pas critiquer la Société d’habitation du Québec. D’autres m’ont déjà toutefois confié leur malaise face à cette société d’État qui semble surtout se soucier de la supervision des contrats et du contrôle de la conformité. L’atteinte des résultats vient bien après.

Le patron de l’UTILE préfère proposer des solutions. « [Le gouvernement caquiste] a lancé un projet pilote intéressant dans lequel Desjardins et le Fonds de solidarité FTQ financent des constructions à but non lucratif. Leur souplesse fonctionne, ils dépassent même leurs cibles. C’est un bon début. Mais maintenant, il faut changer de vitesse. »

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