À l’heure où des milliers de personnes perdent la vie en Haïti, des représentants de la communauté haïtienne de partout dans le monde sont rassemblés à Montréal cette fin de semaine. Leur but : porter la voix – et les solutions – haïtienne face à la crise. La Presse en a discuté avec eux.

Près de 200 membres et leaders de la communauté haïtienne venant bien sûr des Caraïbes, mais aussi de l’Europe et des États-Unis, sont réunis à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis vendredi pour faire entendre leur voix.

Au menu de la Convention internationale de la diaspora haïtienne, sous le thème « Brisons les murs, construisons des ponts », discours, bilans et ateliers pour aller au-delà de l’état des lieux de la crise et faire ressortir des actions concrètes et conjointes.

PHOTO RALPH TEDY EROL, ARCHIVES REUTERS

Deux hommes transportent un homme blessé lors de heurts dans le quartier de Carrefour-Feuilles, à Port-au-Prince, en Haïti, le 15 août dernier.

Haïti fait face à une importante crise humanitaire et de sécurité, particulièrement depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, en juillet 2021.

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Depuis le début de l’année, plus de 2400 personnes ont été tuées en Haïti, selon l’Organisation des Nations unies, soit déjà presque deux fois plus que durant toute l’année 2022. Fin juillet, le Kenya s’est dit prêt à prendre la tête d’une force multinationale et à déployer 1000 policiers « pour aider à former et aider la police haïtienne à rétablir la normalité dans le pays ».

Lisez l’article « Les violences des gangs ont fait plus de 2400 morts »

Mais cette proposition n’est pas toujours accueillie positivement dans la communauté et les diasporas haïtiennes.

« Haïti se trouve dans un tel état de délabrement, d’essoufflement que les gens sont fatigués, et certains se disent qu’il n’y a plus d’autres solutions », résume Ginette Chérubin, ancienne ministre de la Condition féminine en Haïti et membre du mouvement de l’Accord de Montana.

Mais il y a un autre courant, auquel moi, j’appartiens, qui ne veut pas entendre parler d’intervention internationale, parce qu’il y en a déjà tellement eu.

Ginette Chérubin, ancienne ministre de la Condition féminine en Haïti

« Et qu’est-ce que ça a fait ? C’était un échec total ! », renchérit Pearl Hippolyte, vice-présidente de l’Association Amitié France-Haïti.

Des missions internationales ont laissé de bien mauvais souvenirs en Haïti. Ça a été le cas quand des Casques bleus de l’ONU y ont notamment été accusés d’agressions sexuelles. Ils ont aussi été à l’origine d’une épidémie de choléra, il y a une dizaine d’années, qui a tué près de 10 000 personnes.

Parler d’une seule voix

« Il y a plein de choses qui doivent changer en Haïti, où l’État n’est pas au service de la nation et où la tutelle internationale pèse, analyse Mme Hippolyte. Nous devons nous libérer parce que nous devons récupérer notre souveraineté. »

Une rupture est nécessaire dans le système actuel pour amorcer une véritable transition, renchérit-elle, évoquant entre autres des élections pour mettre en place un gouvernement légitime.

Depuis l’assassinat du président Moïse, le pays est dirigé par le premier ministre Ariel Henry, qui est très contesté. Ce dernier a été soutenu par le Core Group, qui regroupe des ambassadeurs et des organismes internationaux parmi les plus puissants en Haïti, dont l’ambassadeur du Canada.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Joël Augustin, directeur du Front uni de la diaspora haïtienne

Pendant la Convention, l’idée est de dépasser les différents points de vue pour parler d’une seule voix. « Il faut rétablir la confiance entre les différentes organisations de la société civile haïtienne », souligne aussi Joël Augustin, directeur du Front uni de la diaspora haïtienne, l’un des plus importants regroupements aux États-Unis.

Et être entendus

À l’autre bout du spectre, la communauté internationale doit écouter la société civile haïtienne, lancent les personnes rencontrées. « Nous ne comprenons pas pourquoi elle refuse d’entendre les organisations et les expatriés haïtiens », déplore M. Augustin.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Pearl Hippolyte, vice-présidente de l’Association Amitié France-Haïti

On est en quelque sorte inaudibles et spectateurs de notre propre sort, comme si on n’avait pas véritablement le contrôle. Et si c’est tout simplement de dire qu’on veut une solution haïtienne, alors nous, on a 15 listes !

Pearl Hippolyte, vice-présidente de l’Association Amitié France-Haïti

L’objectif de la Convention de cette fin de semaine est donc de développer un leadership, de dénoncer l’inaction internationale et d’exiger « un véritable interlocuteur, avec un vrai dialogue », ajoute Mme Hippolyte. « On veut porter notre voix, notre vraie voix, parce qu’il n’y a plus le temps d’attendre. »

Une synthèse des discussions et des ateliers sera faite à la fin du week-end, explique Kerlande Mibel, PDG et fondatrice du Forum économique international des Noirs et coorganisatrice de l’évènement. La Convention pourrait même déboucher sur une « Déclaration de Montréal », ajoute-t-elle.