(Ottawa) La police d’Ottawa assure qu’une intervention aura lieu « dans les heures et les jours » à venir pour dégager le centre-ville en usant de techniques qui « ne sont pas couramment vues à Ottawa ». Un avertissement distribué un peu plus tôt aux manifestants n’a pas eu l’effet escompté ; beaucoup jurent de rester coûte que coûte.

Devant le conseil municipal de la Ville d’Ottawa, au lendemain de la démission du chef de police Peter Sloly, le chef par intérim, Steve Bell, a assuré aux élus qu’il avait un « plan méthodique » pour mettre fin à l’occupation, qui en était à son 20jour, mercredi.

« Nous allons reprendre le centre-ville au complet et chacun des espaces occupés. Nous allons enlever cette manifestation illégale. Nous allons ramener notre ville à son état normal, a-t-il déclaré. Nous savons bien que nos résidants s’en ressentent peu sûrs et abandonnés, et que notre réputation, et celle de notre ville, en a grandement souffert. »

PHOTO PATRICK DOYLE, REUTERS

Policier d’Ottawa distribuant des avis à des manifestants, à Ottawa, mercredi

En prévenant qu’il faudrait « du temps pour accomplir tout cela correctement », il a noté que l’« exécution du plan ne sera[it] pas considérée comme achevée tant que les rues ne seront pas entièrement dégagées ».

Certaines des techniques que nous avons le droit d’employer et que nous sommes prêts à employer ne sont pas couramment vues à Ottawa.

Steve Bell, chef par intérim du Service de police d’Ottawa

En matinée, la police d’Ottawa a sillonné les artères occupées du centre-ville – rue Wellington, les klaxons et la musique se faisaient toujours entendre, et la viande grésillait toujours dans les barbecues, mercredi – pour remettre aux protestataires un avis les intimant de quitter les lieux.

« Quiconque bloquant les voies de circulation, ou aidant d’autres à le faire, commet une infraction criminelle et peut être arrêté, peut-on lire dans cet avis. Vous devez cesser immédiatement vos activités illégales ou vous devrez faire face à des accusations. »

Intervention policière imminente ?

Il s’agit d’un premier avis formel donné par la police, qui peinait jusqu’à maintenant à faire appliquer la loi et les règlements municipaux. Il survient le lendemain de la publication du décret pour appliquer la Loi sur les mesures d’urgence et des deux règlements qui l’accompagnent. Le document détaille les conséquences pour les personnes qui refuseraient d’obtempérer.

Lisez l’article « Les enfants ne pourront plus participer aux blocages »

« Je l’ai crissé dans le feu », lance un jeune homme installé dans un abri de fortune au pied de l’édifice de l’Ouest. D’autres ont jeté les tracts dans une toilette déposée dans la rue – les feuilles se retrouvant dans une cuvette contenant déjà des contraventions distribuées par les forces policières.

« C’est un fake », croit Paul Marginean, camionneur de la Colombie-Britannique dont le poids lourd est ancré dans la rue Wellington, à l’ombre de la colline. « La Loi sur les mesures d’urgence aussi est fake », juge l’homme, ajoutant que par ses origines – il est né en Roumanie –, il parvient à « sentir l’odeur de la tyrannie ».

La mise en garde des autorités policières signifie-t-elle qu’une intervention est imminente ? Justin Trudeau n’a pas voulu s’avancer là-dessus.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Ce n’est pas le corps [policier] du premier ministre, ce n’est pas moi qui décide quand la police va intervenir.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada, lors d’une brève mêlée de presse

« Évidemment, comme tous les résidants d’Ottawa, j’espère que ce sera bientôt », a enchaîné le premier ministre avant de s’engouffrer dans la Chambre des communes, où la période des questions a été extrêmement houleuse, mercredi après-midi.

Le NPD donnera son appui

Le gouvernement a déposé mercredi soir une motion pour maintenir l’état d’urgence, qui devra être débattue jeudi aux Communes et au Sénat.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Il est d’ores et déjà acquis qu’elle sera adoptée, grâce au Nouveau Parti démocratique, et ce, même si le chef Jagmeet Singh craint que cela n’ait des répercussions sur d’autres manifestations « légitimes ». Mais dans ce cas, la loi est nécessaire, car « le but du convoi est d’attaquer la démocratie », a-t-il exposé.

Les conservateurs n’ont pas l’intention d’appuyer la motion. Ils estiment que le premier ministre Trudeau aurait dû faire preuve de plus de flexibilité en présentant un plan sur la levée des mesures sanitaires et des obligations vaccinales.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Candice Bergen, cheffe intérimaire du Parti conservateur du Canada, lors de la période des questions, mercredi, à Ottawa

Le premier ministre n’a pas expliqué clairement pourquoi il invoque la Loi sur les mesures d’urgence. Pourquoi brandit-il cette massue ? N’est-il pas vrai qu’il le fait juste pour sauver sa carrière politique ?

Candice Bergen, cheffe intérimaire du Parti conservateur du Canada, lors de la période des questions

Le caucus du Bloc québécois s’est dit « farouchement hostile à l’application » de la loi au Québec. Les députés bloquistes voteront aussi contre la motion du gouvernement.

Le président du Sénat a convoqué la Chambre haute vendredi matin pour en débattre. Les sénateurs n’avaient pas de journées de séance cette semaine. La Chambre des communes, qui doit faire relâche la semaine prochaine, devra finalement siéger pour le vote.

Inquiétudes pour les enfants

La Société de l’aide à l’enfance d’Ottawa a, de son côté, exhorté mercredi les parents présents à la manifestation dans le centre-ville à « prendre les dispositions de garde alternatives nécessaires s’ils devenaient incapables de s’occuper de leurs enfants à la suite d’une éventuelle intervention policière ».

PHOTO PATRICK DOYLE, REUTERS

Selon le décret publié mardi par le gouvernement Trudeau, « il est interdit de faire participer une personne âgée de moins de 18 ans » à une « assemblée publique dont il est raisonnable de penser qu’elle aurait pour effet de troubler la paix ».

Et si les enfants étaient séparés de leurs parents « à la suite des efforts de la police pour mettre fin à la manifestation au centre-ville », l’organisation de protection de l’enfance « s’efforcera de réunir les familles dès que possible », lit-on dans une déclaration publiée sur son site web.

Selon le décret publié mardi par le gouvernement Trudeau, « il est interdit de faire participer une personne âgée de moins de 18 ans » à une « assemblée publique dont il est raisonnable de penser qu’elle aurait pour effet de troubler la paix », en entravant notamment le commerce ou la circulation des personnes et des biens.

Mercredi après-midi, des enfants déambulaient encore dans la rue Wellington.

Avec ou sans l’accord des provinces

N’en déplaise aux politiciens qui, comme le premier ministre du Québec, François Legault, et les élus de l’Assemblée nationale, ne veulent pas de l’imposition de cette loi sur leur territoire, elle s’applique malgré leur opposition, ont confirmé de hauts fonctionnaires fédéraux lors d’une séance d’information technique, mercredi.

Lisez l’article « L’Assemblée nationale ne veut pas de la Loi sur les mesures d’urgence »

La décision d’en utiliser les pouvoirs est entièrement entre les mains des divers corps policiers – et ceux-ci sont indépendants des politiciens. « C’est vraiment à eux de le faire », a dit un cadre supérieur du ministère de la Justice du Canada.

L’Assemblée nationale a demandé de façon unanime à Ottawa, mardi, de « ne pas appliquer la Loi sur les mesures d’urgence sur le territoire québécois ». Une motion du Bloc québécois réclamant la même chose n’a pas obtenu le consentement de la Chambre des communes mercredi.

Kenney et Moe se liguent avec des Américains

Pendant ce temps, les premiers ministres Jason Kenney, de l’Alberta, et Scott Moe, de la Saskatchewan, avec les gouverneurs de 16 États, se sont unis pour écrire une lettre réclamant du premier ministre Justin Trudeau et du président des États-Unis, Joe Biden, l’annulation de la vaccination obligatoire pour les camionneurs ainsi que l’obligation de quarantaine.

Car on n’aurait pu choisir « pire moment » pour imposer ces restrictions, « alors que l’Amérique du Nord est déjà aux prises avec de sérieux problèmes avec ses chaînes d’approvisionnement », et « nous ne pouvons nous permettre de perdre d’autres camionneurs qui transportent de la nourriture et d’autres fournitures essentielles d’une frontière à l’autre », déclarent les dirigeants et leurs alliés américains dans leur missive.

Les manifestants qui bloquaient le poste frontalier au Manitoba sont partis

Les manifestants qui bloquaient un passage frontalier achalandé dans le sud du Manitoba ont quitté les lieux, et la circulation est de nouveau fluide, mercredi, selon la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

La GRC dit avoir conclu un accord avec les manifestants pour mettre fin au blocage au poste frontalier d’Emerson. Elle a indiqué sur Twitter que l’autoroute 75 était maintenant dégagée et que l’accès complet au poste frontalier d’Emerson avait été rétabli.

Le poste frontalier était bloqué depuis jeudi dernier, lorsque des manifestants ont garé de la machinerie agricole, des semi-remorques et d’autres véhicules à environ deux kilomètres au nord de la frontière canado-américaine. Selon la GRC, il y a eu jusqu’à 75 véhicules impliqués dans le blocus à Emerson.

La Presse Canadienne