Panacée pour certaines, menace pour d'autres... Les mines de cryptomonnaies divisent les municipalités du Québec au moment même où le gouvernement réfléchit à la manière d'encadrer cette industrie en pleine croissance.

Fin mars, les municipalités de la MRC de Brome-Missisquoi sont devenues les premières au Québec à adopter un moratoire sur les «mines de bitcoins». Aucune nouvelle mine ne pourra y être créée pendant 90 jours et celles qui existent déjà ont l'interdiction de croître.

«À Bromont, on a une capacité de 36 mégawatts. Et on a eu une entreprise [de minage] qui s'en venait et voulait consommer 30 mégawatts. C'est gros», explique Louis Villeneuve, maire de Bromont, l'une des villes où le moratoire a été adopté.

«Mais nous, on veut faire du développement économique, du développement immobilier. On n'a pas fini de croître. On a un parc scientifique qu'on développe», explique le maire.

«Tu ne peux pas accepter qu'une entreprise vienne hypothéquer ta capacité énergétique comme ça.»

Début mars, une première ville américaine a également adopté un moratoire de 18 mois sur les mines de cryptomonnaies. Plattsburgh a pris cette décision parce que l'arrivée de mines sur le territoire de la ville a coïncidé avec une hausse de la facture d'électricité des citoyens, a expliqué le maire Colin Read lors d'une assemblée publique où le moratoire a été adopté à l'unanimité.

Plattsburgh dispose d'un des tarifs d'électricité les plus bas des États-Unis. Mais lorsque la ville dépasse un quota qui lui est attribué, elle doit acheter son électricité au prix du marché, et les citoyens se retrouvent à payer plus cher. C'est ce qui est arrivé deux fois l'hiver dernier.

Québec en réflexion

Les mineurs de cryptomonnaies cherchent l'électricité la moins chère pour alimenter leurs ordinateurs qui réalisent des calculs complexes à longueur de journée. C'est pourquoi le Québec est pour eux une destination de choix.

Les mineurs qui souhaitent s'installer ici demandent à Hydro-Québec un tarif commercial, comme d'autres entreprises. La société d'État confirme avoir reçu une centaine de demandes de mineurs dans les derniers mois pour un total de 9000 mégawatts, soit six fois la production estimée de la future centrale de la Romaine.

Devant cette explosion, Hydro-Québec et le gouvernement ont décidé en février dernier d'adopter un moratoire de facto, en cessant d'accorder le tarif commercial aux mineurs. Une réflexion a lieu en ce moment au ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles quant à la manière d'encadrer cette industrie.

Imposera-t-on des tarifs d'électricité plus élevés? Le Ministère est avare de commentaires. «Je vous confirme que le gouvernement examine des options avec Hydro-Québec afin d'encadrer ce secteur, mais nous ferons connaître l'option retenue au moment opportun», s'est contenté d'indiquer un porte-parole, Nicolas Bégin.

La décision du gouvernement de mettre un frein à la croissance des mines de cryptomonnaies ne plaît cependant pas à toutes les villes. L'Union des municipalités du Québec (UMQ) le reconnaît, ses membres sont divisés sur la question.

«L'UMQ ne s'est pas encore positionnée sur cette question, mais l'enjeu suscite assurément de plus en plus d'intérêt parmi certains de nos membres», a affirmé par courriel Patrick Lemieux, porte-parole de l'UMQ.

«À l'inverse du cas de la MRC de Brome-Missisquoi, certaines municipalités - je pense notamment à Baie-Comeau et à Matane - voient des opportunités de développement économique dans le phénomène des cryptomonnaies et sont très actives pour attirer des entreprises du secteur et saisir les opportunités qui en découlent», ajoute M. Lemieux.

Le maire de Matane Jérôme Landry est en effet embêté par la position d'Hydro-Québec et du gouvernement. La Ville a été sondée par cinq entrepreneurs différents qui désirent transformer une ancienne cartonnerie en mine de bitcoins. Mais le projet est maintenant sur la glace jusqu'à ce que le gouvernement achève sa réflexion.

Bitfarms se fait rassurante

La plus importante société québécoise de minage dit comprendre la décision de la MRC de Brome-Missisquoi. «À mon humble avis, c'est de la bonne gouvernance, ils font bien de faire ça. Ils veulent en savoir plus sur une nouvelle industrie. Je comprends qu'ils veuillent réfléchir», note le porte-parole de Bitfarms, Bahador Zabihiyan.

Selon lui, l'industrie du minage peut être bénéfique pour plusieurs villes du Québec. Bitfarms vient d'ailleurs de s'entendre avec Sherbooke et Magog pour la création de nouvelles mines qui prévoient du délestage en période de grande consommation.

«À Sherbrooke et Magog, l'électricité provient de surplus. On a convenu d'éteindre les machines en hiver en grande période de consommation.»

Les critiques du minage aiment rappeler que cette industrie énergivore crée peu d'emplois. Mais Bitfarms estime que ces critiques sont largement exagérées. L'entreprise qui comptera à terme six mines au Québec dit employer 90 personnes, à un salaire moyen annuel de 55 000 $.

«C'est sûr qu'on crée moins d'emplois qu'une aluminerie, admet le porte-parole de l'entreprise. Mais on crée environ trois emplois directs par mégawatt. Ce n'est pas rien.»

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QU'EST-CE QU'UNE MINE DE BITCOINS?

Une mine de cryptomonnaies est un local rempli d'ordinateurs puissants qui réalisent des calculs à longueur de journée. Le bitcoin se sert de ces centres de calculs pour enregistrer ses transactions. Les mineurs reçoivent ensuite des bitcoins en échange de leur travail. Les ordinateurs de minage répartis un peu partout dans le monde se livrent une compétition féroce pour colliger les transactions et permettre à leurs propriétaires d'empocher la plus grosse commission possible. De l'électricité bon marché est synonyme de profits plus importants pour les mineurs.

ARCHIVES LA PRESSE

Louis Villeneuve