Fuites médiatiques, enquêtes internes, révélations explosives sur le climat de travail, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) est secouée par une crise depuis des mois. Tout cela alors que le gouvernement Couillard planche sur une réforme de son administration. Quel sera l'effet du projet de loi 107, qui doit être adopté dans les prochains jours ? Tour d'horizon et explications du ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux.

UNE ORGANISATION « HYBRIDE »

Lorsque l'UPAC a été créée, en 2011, on a réuni des enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) et de services de police municipaux. Ces agents sont « prêtés » à l'unité d'enquête. Ils restent employés de leur corps policier, ce qui requiert une coordination constante. Cette situation a créé aussi des aberrations : lorsque des policiers ont dénoncé le climat de travail à l'UPAC, c'est une spécialiste de la SQ, Karine Martel, qui a mené l'enquête. « C'est une organisation plutôt hybride dont les membres ont toujours une double appartenance et, conséquemment, sont sujets à une forme de double loyauté », explique le ministre Coiteux.

UN CORPS POLICIER

Le projet de loi 107 sera soumis à un vote à l'Assemblée nationale aujourd'hui, l'avant-dernier avant son adoption finale. Il ferait de l'UPAC un corps policier à part entière. Les enquêteurs qui y sont prêtés continueraient d'appartenir à leur organisation d'origine, mais ils se rapporteraient tous à la même direction. En somme, il y aurait « des liens hiérarchiques clairement établis », explique M. Coiteux. À long terme, l'unité pourrait aussi embaucher ses propres policiers. L'UPAC compte 300 employés, dont le tiers sont prêtés par d'autres corps policiers.

RÉTICENCES

La stratégie du gouvernement est contestée par l'Association des policiers provinciaux du Québec, qui représente les policiers de la SQ. Si le projet de loi est adopté tel quel, dit le président Pierre Veilleux, les prêts de service seront négociés directement entre la direction de l'UPAC et celles des autres corps policiers. Ce processus évincerait le syndicat. « Comme le climat est pourri ces temps-ci, c'est encore plus important que le syndicat se mêle des relations de travail », estime M. Veilleux.

UN COMMISSAIRE POUR SEPT ANS

Le projet de loi prévoit que le commissaire de l'UPAC sera nommé pour un mandat de sept ans, au lieu du mandat de cinq ans actuel. Il serait nommé par le gouvernement à partir d'une liste fournie par un comité de sélection. Ce comité serait composé de cinq personnes : deux sous-ministres, un avocat désigné par le bâtonnier du Québec, un directeur de police et une personne issue du monde municipal. Le comité devrait rencontrer tous les candidats potentiels et remettre « sans tarder » une courte liste au ministre de la Sécurité publique.

AUX DEUX TIERS

Le mode de nomination choisi par le gouvernement irrite les partis de l'opposition. Le Parti québécois (PQ), la Coalition avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS) souhaitent tous que le commissaire soit nommé par un vote aux deux tiers de l'Assemblée nationale, à l'instar du vérificateur général. Selon eux, c'est la meilleure manière de garantir l'indépendance du grand patron de l'UPAC face à un gouvernement sur lequel il pourrait enquêter. M. Coiteux a toujours refusé cette avenue, de crainte qu'elle expose encore davantage le commissaire à la pression politique.

UN CHAMP D'EXPERTISE ÉLARGI

La loi qui a créé l'UPAC visait à lutter contre la corruption « en matière contractuelle dans le secteur public ». Le projet de loi 107 prévoit donc que l'UPAC luttera contre la corruption « dans le secteur public, notamment en matière contractuelle ». Le changement semble subtil, mais c'est tout le mandat de l'UPAC qui s'en trouve changé. « Dans l'évolution du temps, le champ d'exercice des enquêtes de l'UPAC s'est élargi au-delà du seul secteur de la construction », note le ministre Coiteux, qui cherchait à refléter cette réalité.

NÉGOCIER AVEC DES TÉMOINS

Une disposition du projet de loi 107, passée relativement inaperçue, pourrait avoir un impact majeur sur les enquêtes de l'UPAC. La pièce législative accorde de nouveaux pouvoirs au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) pour suspendre des procédures judiciaires contre des témoins collaborateurs. Cela facilitera le travail des policiers qui cherchent à obtenir des témoignages dans le cadre de leurs enquêtes.

COMITÉ DE VÉRIFICATION

Le gouvernement Couillard a amendé le projet de loi 107 pour créer un Comité de surveillance des activités de l'UPAC. Ce groupe serait composé de trois personnes nommées par un vote aux deux tiers de l'Assemblée nationale. M. Coiteux affirme qu'il souhaitait resserrer la reddition de comptes de la direction de l'UPAC. Il ne cache pas que l'arrestation du député Guy Ouellette en octobre a pesé dans sa réflexion.