Tamara Thermitus s'attaque à l'intégrité du Protecteur du citoyen du Québec devant les tribunaux. La présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) dénonce la «partialité institutionnelle» et «l'esprit fermé» de l'ombudsman indépendant et réclame l'annulation de l'enquête dont elle fait l'objet.

Tamara Thermitus a déposé sa requête au palais de justice de Montréal cette semaine, peu de temps après avoir pris connaissance du projet de rapport d'enquête, avec conclusion, du Protecteur du citoyen portant sur des plaintes d'abus d'autorité, de mauvaise gestion et de manque de respect envers le personnel. Selon la procédure officielle de l'ombudsman, comme souligné dans la requête, «dans tous les cas où [il] conclut, au terme d'une enquête, qu'un acte répréhensible a été commis ou était sur le point de l'être, il transmet son projet de conclusions aux personnes concernées par l'enquête pour commentaires».

Le Protecteur du citoyen a également remis ce projet de rapport d'enquête à la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, le mois dernier. Or, Mme Thermitus lui reproche de l'avoir fait sans qu'elle en ait été avisée et sans qu'elle ait pu, par conséquent, donner sa version aux enquêteurs, selon sa requête lourdement caviardée. Le Protecteur du citoyen ne relève pas du gouvernement et fait directement rapport à l'Assemblée nationale.

Tamara Thermitus réclame donc à la Cour supérieure de «casser» l'enquête à son endroit, de «déclarer la nullité» du projet de rapport du 29 novembre et de déclarer l'«incompétence» du Protecteur du citoyen pour mener cette enquête. 

La dirigeante allègue dans sa requête que l'ombudsman a commis une «faute et un manquement grave» en communiquant le projet de rapport à la ministre «avant d'avoir obtenu [s]a version des faits».

«[Mme Thermitus] a été irrémédiablement privée du droit de faire valoir sa version des faits - tant sur les allégations qui lui sont reprochées que sur l'intérêt personnel des divulgateurs», fait valoir la requête. La Presse a fait la lumière en août dernier sur la crise interne qui déchire la CDPDJ, à peine six mois après la nomination de Mme Thermitus par l'Assemblée nationale. La présidente est actuellement en arrêt de travail pour raison de santé pour une période indéterminée.

Rencontres reportées

Une lecture attentive de la requête révèle que des rencontres prévues entre le Protecteur du citoyen et Mme Thermitus ont été reportées pour diverses raisons, à plusieurs reprises. La requête comprend une chronologie des évènements, lourdement caviardée, qui permet de comprendre que son premier avocat avait fixé une rencontre avec les enquêteurs, sans son consentement, à l'automne. Cette rencontre a été reportée pour une raison également caviardée.

À deux reprises, entre le 20 octobre et le 4 décembre, les nouveaux avocats de Mme Thermitus ont indiqué au Protecteur du citoyen que leur cliente voulait toujours faire valoir sa version des faits, mais qu'elle était dans «l'impossibilité de le faire en raison de son état de santé». Puis, quand une rencontre a finalement été fixée, le 11 décembre, pour obtenir ses commentaires, la présidente de la Commission a refusé de témoigner en raison du dépôt du projet de rapport à la ministre.

«La crainte raisonnable de partialité institutionnelle et l'esprit fermé du Protecteur du citoyen sont manifestes en l'espèce. Le préjudice résultant d'une crainte raisonnable de partialité est irrémédiable en l'espèce», soutient-elle dans la requête.

«[Mme Thermitus] a toujours voulu être entendue par le Protecteur du citoyen et a toujours voulu faire valoir sa version des faits et ses moyens.»

«Fondamentalement, la Loi prévoit qu'ils ne peuvent remettre une copie du rapport au ministre de la Justice avant que l'enquête ne soit complétée et que Mme Thermitus ne soit entendue. Or, ce rapport a été communiqué au ministre sans qu'elle soit entendue», a expliqué à La Presse l'avocat de Mme Thermitus, Me Michel Décary. Le Protecteur du citoyen n'a pas voulu commenter la situation, mais entend faire valoir ses arguments devant le tribunal. Une date d'audition pour janvier prochain doit être fixée aujourd'hui. La ministre Stéphanie Vallée s'est abstenue de tout commentaire en raison du processus judiciaire en cours.

La présidente de la CDPDJ s'en prend également à l'application de la Loi facilitant la divulgation d'actes répréhensibles à l'égard des organismes publics, en vertu de laquelle le Protecteur du citoyen a reçu ces plaintes. Cette nouvelle loi visant à protéger les lanceurs d'alerte est entrée en vigueur le printemps dernier. On soulève dans la requête que la loi ne «s'applique pas aux divulgations effectuées à des fins personnelles et non d'intérêt public».

La requête de 14 pages est lourdement caviardée en raison de la confidentialité de l'enquête toujours en cours, soutient Me Décary. De plus, plusieurs paragraphes caviardés portent sur des lettres confidentielles entre avocats, précise-t-il. La liste des 20 pièces déposées sous scellé est également caviardée.

Crise interne

Tamara Thermitus soutient dans sa requête avoir constaté à son arrivée en poste en février dernier que la Commission était aux prises avec plusieurs problèmes «majeurs». Elle dit avoir voulu apporter des changements afin de «répondre aux exigences de la fonction publique moderne». «[Elle] remet en question le statu quo en place, ce qui semble déranger plusieurs employés de la CDPDJ», indique-t-on.

La présidente de la Commission s'est retrouvée au coeur d'une crise interne dès le début de son mandat. Au mois de juillet, des employés de la Commission avaient porté plainte devant le Protecteur du citoyen, lui reprochant «abus d'autorité, mauvaise gestion et manque de respect» envers le personnel. Une vingtaine de témoins ont corroboré ces plaintes devant le Protecteur du citoyen, avait rapporté La Presse.

Jointes par La Presse, des sources internes à la CDPDJ avaient confié anonymement que la présidente se livrait à «un derby de démolition» et à une «chasse aux sorcières».

Six semaines plus tard, trois commissaires de la CDPDJ ont dénoncé, à leur tour, la gestion de Mme Thermitus. À ce moment, 8 des 15 postes de cadres au sein de la Commission étaient vacants, plusieurs hauts dirigeants se trouvant en arrêt de travail.

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, avait réagi en nommant en octobre une vérificatrice externe, Lise Verreault, pour établir un diagnostic de la crise. Cette dernière lui a remis son rapport le 15 décembre. Le document, de même que le projet d'enquête du Protecteur, n'a pas actuellement été rendu public.

Tamara Thermitus est remplacée temporairement par le vice-président Camil Picard. Selon nos informations, la majorité des hauts dirigeants de la Commission sont maintenant de retour au travail.