Des citoyens de Sainte-Sophie, dans les Laurentides, sont pris à la gorge depuis que leurs terrains ont servi de déversoirs à sols contaminés pour des entreprises soupçonnées d'être liées à une organisation criminelle. La situation est telle que la mairesse appelle maintenant Québec à l'aide pour éponger les coûts de nettoyage « faramineux ».

Philippe Genty voulait faire les choses correctement. Propriétaire de 30 arpents à flanc de colline à Sainte-Sophie, il voulait niveler son terrain à l'aide de remblais. Il a fait appel à une firme spécialisée, Remblais ATL.

Comme le montre une procuration déposée à la municipalité, il a mandaté le président de l'entreprise, Martin Archambault, pour le représenter et obtenu un permis en bonne et due forme de la Ville, au coût de 30 $. Lorsqu'un inspecteur de la Ville est passé voir les travaux, il a toutefois constaté que le sol utilisé pour le remblai était absolument non conforme.

Photo Olivier Jean, La Presse

La Presse a révélé hier que la Sûreté du Québec a découvert un terrain agricole où des milliers de tonnes métriques de sols contaminés auraient été déversées en contravention avec la loi, au bord de la rivière de l'Achigan, à Sainte-Sophie.

Photo François Roy, La Presse

Philippe Genty

VASTE ENQUÊTE

Des enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) sont venus le voir. Ils lui ont expliqué qu'ils menaient une vaste enquête sur un groupe qui écoulait illégalement des sols contaminés.

La Presse a révélé hier, sur la base de documents judiciaires, les grandes lignes du projet Naphtalène, une enquête de la SQ amorcée fin 2015 sur une organisation criminelle qui tentait de « prendre le contrôle de la gestion et du transport des sols contaminés au Québec ».

Le gang offrirait des prix très concurrentiels aux entrepreneurs en construction et propriétaires de terrains qui doivent se débarrasser de sols contaminés. Or, « les sols récupérés ne sont pas décontaminés, mais rapidement disposés dans des zones vierges, des terres agricoles ou des sites illégaux, causant ainsi des méfaits importants à l'environnement », affirment les enquêteurs.

À la suite de démarches de l'avocat des suspects, un juge a interdit à La Presse de nommer les individus et les entreprises mises en cause dans les documents, puisque l'enquête est toujours en cours et que personne n'a été accusé à ce stade-ci.

Philippe Genty, lui, n'hésite pas à blâmer Remblais ATL pour ses déboires. Les estimations des coûts pour décontaminer son terrain tournent autour de 100 000 $. Il a tenté de vendre sa propriété, sans succès. 

« La maison n'est pas vendable, elle est entachée », dit-il.

La municipalité de Sainte-Sophie s'est mise à lui envoyer avis sur avis afin de lui enjoindre de retirer le remblai sur son terrain, à ses frais. Encore la semaine dernière, un inspecteur municipal lui donnait sept jours pour se conformer. Dans un courriel obtenu par La Presse, l'inspecteur disait avoir confirmé auprès de la SQ que le retrait des sols contaminés n'allait pas entraver l'enquête criminelle en cours. Mais pour M. Genty, pas question de payer de sa poche.

« PLUS ÇA VA, PLUS ON DÉCOUVRE »

La mairesse Louise Gallant l'a entendu. « Quand l'inspecteur lui a dit ça, nous n'étions pas au courant de l'envergure du problème. Plus ça va, plus on découvre. On avait avisé les propriétaires qu'ils devaient s'assurer de la décontamination, mais là, c'est hors de proportion », reconnaît-elle.

Elle dit avoir eu vent de plusieurs cas de terrains dans sa municipalité où de tels déversements de sols contaminés avaient eu lieu illégalement. « C'est tellement énorme, ça dépasse tout ce que je pouvais penser », dit-elle.

Sainte-Sophie, une ville de 16 000 habitants, ne peut pas acquitter elle-même les frais « faramineux » qui découleront de toute cette contamination, selon la mairesse. Elle compte maintenant demander au ministère de l'Environnement, qui participe à l'enquête de la SQ, d'éponger la facture. « Je vais pousser en ce sens-là parce que ce sont des coûts hors norme. J'ai un cas d'un couple de 75 ans qui réalise qu'il a tout perdu. Le Ministère les qualifie carrément de victimes », souligne-t-elle.

Plus elle en apprend sur ce qui se passait dans sa ville à l'abri des regards, plus elle est choquée. « C'est inhumain. Je ne peux pas croire que le crime organisé vise ces gens-là », dit-elle.

Système de traçabilité réclamé

Le Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec (CETEQ) a réagi aux révélations de La Presse hier en réclamant du gouvernement québécois l'implantation d'un système de traçabilité obligatoire pour les sols contaminés. « Un tel système contribuerait à éliminer la disposition illégale des sols contaminés en contrôlant leur déplacement. Il permettrait également d'éviter les préjudices environnementaux rapportés », souligne le regroupement de l'industrie.