Près de trois ans après la fin de ses travaux, l'ex-premier ministre Jean Charest s'en prend à la commission Charbonneau, qu'il a lui-même créée. M. Charest aurait souhaité témoigner publiquement devant les commissaires et s'était préparé à le faire. Or, dit-il, on lui a signifié à la fin des travaux en lui disant seulement que «son témoignage n'était plus requis».

En mai 2014, Jean Charest a volontairement accepté - donc sans y être contraint par une citation à comparaître - de rencontrer deux enquêteurs de la Commission ainsi que la procureure, MSonia LeBel. La rencontre a duré deux heures et demie et M. Charest a répondu à toutes leurs questions.

Un mois plus tard, la Commission demande à M. Charest de se rendre disponible et de réserver dans son agenda la période du 25 août au 19 septembre 2014 pour venir témoigner publiquement. «Puis, le 19 août 2014, MLeBel nous a informés que "son témoignage n'était plus requis devant la Commission"», indique le bras droit de M. Charest, Grégory Larroque, dans un échange de courriels, en réaction à nos révélations d'hier sur l'enquête de l'UPAC à propos du train de vie de Jean Charest.

Trois ans plus tard, Jean Charest n'a manifestement pas digéré cette décision de la commission Charbonneau. «La Commission, souligne MLarroque, a non seulement délibérément choisi de ne pas le faire témoigner, mais elle n'a jamais été transparente sur le fait que M. Charest avait pleinement collaboré aux travaux des enquêteurs, qu'il avait réservé son agenda en conséquence pour faire son devoir de citoyen et aller témoigner et que la décision de ne pas le faire témoigner avait été prise par MLebel et les commissaires.»

Selon nos informations, la commission Charbonneau a longuement soupesé la possibilité de faire témoigner publiquement M. Charest. Les commissaires auraient aimé le convoquer en public, mais ils ont craint de nuire au travail des enquêteurs de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) qui étaient à l'oeuvre au même moment, sur les mêmes sujets. Or, les informations dévoilées publiquement à la Commission ne pouvaient être utilisées par les enquêteurs de l'UPAC. Toujours selon nos sources, c'est la commissaire France Charbonneau qui a tranché.

«Je n'aimerais pas être dans ses souliers»

Appelée à commenter ces déclarations, l'ex-procureure de la commission, Sonia LeBel, nous a fait parvenir sa réponse par courriel. «Je peux comprendre qu'avec les conclusions du rapport Charbonneau et avec ce qui transpire de l'opération Mâchurer sur les pratiques de financement de son parti politique pendant ses années au gouvernement, Jean Charest soit nerveux. Je n'aimerais pas être dans ses souliers aujourd'hui», écrit-elle. Sonia Lebel est aujourd'hui chef de cabinet adjointe du chef de la Coalition avenir Québec, François Legault.

Toutefois, ajoute-t-elle, «M. Charest sait très bien qu'en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête, les décisions entourant le témoignage ou non d'individus devant une commission d'enquête relèvent des commissaires et non de l'équipe de procureurs. En tant que procureure en chef, j'étais chargée de transmettre aux individus la décision des commissaires concernant leur témoignage potentiel. J'entends respecter mon serment de confidentialité sur les raisons entourant les décisions des commissaires».

Les chefs de parti en exercice à l'Assemblée nationale à l'époque et d'anciens premiers ministres avaient à l'époque été rencontrés en privé par la commission Charbonneau, qui avait également entendu à huis clos certains acteurs de la politique. L'ex-grand argentier du Parti libéral du Québec, Marc Bibeau, avait notamment été contraint par citation de se présenter devant les commissaires, mais son témoignage s'était déroulé à huis clos.