Depuis 2006, le nombre de plants de marijuana saisis dans des domiciles par le SPVM a explosé. Selon les données que La Presse a obtenues, il est passé de 36 000 à 126 000. Cette hausse fulgurante s'explique notamment par le travail acharné des policiers de la division du crime organisé, mais aussi par une meilleure collaboration entre les corps policiers du pays.

«La culture à domicile est solidement implantée, stable et répandue à la grandeur du pays. Est-ce que ça empire? Je dirais que c'est déjà assez sérieux comme ça», résume le sergent Chan Dara, coordonnateur national de la lutte contre les installations de culture de marijuana à la Gendarmerie du Canada (GRC).

Le SPVM, qui combat ce fléau depuis des années, vient d'ailleurs d'inscrire cette lutte en tête de ses priorités organisationnelles, avons-nous appris. Pourquoi? «C'est une source de revenus importante pour le crime organisé, en plus de constituer une menace directe pour la sécurité publique. Le danger s'est traduit récemment par quelques disparitions, des braquages de domicile et des saisies d'armes à feu», explique le commandant Daniel Ménard, chef de la section antigang à la division du crime organisé du SPVM.

De son côté, la GRC s'inquiète de la montée de la violence générée par ces installations aménagées dans les quartiers résidentiels. «En plus de détruire des maisons, les plantations causent des incendies et des braquages de domicile, surtout en Colombie-Britannique», explique le sergent Dara.

Le SPVM s'inquiète également de l'apparition de dispositifs de sécurité improvisés dans les plantations. «On a vu des systèmes reliés à du gaz poivre, et on nous a signalé l'existence d'un autre relié à une arme à feu», indique le commandant Ménard.

En clair, les policiers veulent s'assurer que les milliers de pépinières clandestines éparpillées dans les quartiers résidentiels de la ville ne deviennent pas des poudrières.

Une industrie née en Colombie-Britannique

Cette méthode de culture de la marijuana est née il y a une vingtaine d'années en Colombie-Britannique pour progressivement s'étendre d'un océan à l'autre. «Aujourd'hui, les trois provinces les plus touchées par les plantations intérieures sont la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec», explique Chan Dara.

Selon le commandant Ménard, qui talonne les trafiquants depuis les années 90, Montréal a bien des atouts pour attirer les trafiquants: la valeur des maisons, la proximité des marchés américains et le nombre élevé de bureaux de change.

C'est ce qui explique que le démantèlement de serres hydroponiques soit devenu chose courante au Québec. Selon la Sûreté du Québec (SQ), le quart des plantations de marijuana qu'elle a démantelées étaient dans des maisons. «Ça peut être des maisons, mais aussi des granges, des cabanons, des garages», souligne la sergente Ingrid Asselin. Durant l'année en cours, la SQ a jusqu'ici démantelé 1137 installations, dont 499 intérieures. Le SPVM a pour sa part démantelé 696 plantations sur son territoire entre 2006 et 2011, dont 250 l'an dernier.

Même les pompiers découvrent régulièrement des plantations, par hasard, lors d'interventions ou de visites de routine. «Si on en trouve de cette façon, c'est qu'il doit y en avoir beaucoup», souligne le capitaine Mario Lacombe, enquêteur au Service de sécurité incendie de Montréal.

Une pratique difficile à enrayer

Ces démantèlements par la police ne seraient toutefois que des coups d'épée dans l'eau. Selon une recherche publiée en 2008 par le criminaliste Martin Bouchard, de l'Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, le cannabis saisi au Québec ne constitue que 10% de celui qui est cultivé. «Est-ce qu'on peut transposer ces résultats à l'échelle nationale? Sans doute», croit le sergent Dara.

Selon Santé Canada, les corps policiers ont saisi en 2010 près de 2 millions de plants de marijuana et 50 tonnes de boutures au pays. Si on applique à ces chiffres les conclusions de la recherche de Martin Bouchard, les chiffres ont de quoi donner le vertige. «On est très bons pour trouver des installations. Le problème est plutôt d'empêcher leurs propriétaires de recommencer», souligne M. Dara.

Le constat est le même du côté du SPVM. Le commandant Ménard estime néanmoins que ses troupes exercent une réelle pression sur le milieu. Les policiers en ont aussi plein les bras à Longueuil. «On pourrait travailler sur les plantations à longueur de journée, mais avec nos effectifs et nos budgets, on peut juste maintenir un minimum», confie une source. Ces plantations appartiennent à des groupes criminels de mieux en mieux organisés, mobiles, dont les ramifications s'étendent partout au pays. «Il n'y a pas de hiérarchie pyramidale comme dans la mafia ou chez les bandes de motards, mais plutôt une hiérarchie horizontale: plusieurs réseaux collaborent d'une province à l'autre et avec d'autres pays, à commencer par les États-Unis», explique le sergent Chan Dara.

À Montréal, la mafia, les motards et la pègre asiatique sont les principaux responsables des plantations. «Les Asiatiques sont spécialisés dans les plantations intérieures, les Vietnamiens surtout. Ils fonctionnent surtout par cellules familiales», raconte le commandant Ménard. L'an dernier, 106 000 des 126 000 plants saisis par le SPVM étaient cultivés par la pègre asiatique.