À 30 ans, Emilio* a travaillé en Espagne avant de poser ses valises au Canada. Contrairement aux États-Unis, le Canada, lui avait dit un ami qui s'y était installé, laisse entrer facilement les Mexicains. Là, le travail au noir abonde.

Quand il débarque à Dorval, Emilio a en poche 80$ et une liste de numéros de téléphone.

Les douaniers montréalais, d'abord suspicieux, le laissent entrer comme touriste, convaincus par un recueil de poésie de Rimbaud que ce francophile a dans ses bagages.

Il ne lui faut que quelques jours pour obtenir son premier rendez-vous de travail, à l'aube, au métro Fabre. Aux côtés d'une dizaine d'hispanophones, on l'emmène travailler dans une usine. Il n'a eu que son âge et son prénom à donner.

«L'enfer, ça a commencé là-bas, dit Emilio. J'imaginais autre chose. Dans ma vie, j'ai fait beaucoup de choses. Ce n'est pas grave de travailler comme ouvrier, mais là, c'était draconien.»

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Vêtu d'un jean et d'une chemise noirs, le jeune homme, beau garçon, raconte son histoire d'une traite, tout sourire.

Dans ce premier emploi, il gagne 320$ par semaine pour 40 heures de travail. C'est peu, pour vivre ici.

«J'ai appelé mon ami et je lui ai dit: Tabarnak! T'as oublié de me dire des choses, toi!»

Emilio parle couramment français, avec un accent très québécois.

Issu de la classe moyenne mexicaine, il a fréquenté l'université dans son pays. Mais il est convaincu que le Mexique ne réserve aucun avenir aux jeunes comme lui.

Après plusieurs mois dans son premier travail, il part à la recherche d'un nouvel emploi. Un homme, qu'il appelle le Cubain, le met alors en contact avec un commerce du centre-ville. Il y est embauché comme commis pour 9$ l'heure.

Trois ans plus tard, Emilio y travaille toujours, 60 heures par semaine l'hiver, 75 heures l'été.

Son salaire horaire a grimpé à 13$. Il est toujours payé au noir, n'a aucune assurance et, bien sûr, n'a jamais pris de vacances.

«Je gagne 3000$ par mois. Au Mexique, oublie ça! Il y a seulement les députés et les voleurs qui font ça.»

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En quatre ans, il a appris à ajuster sa vie à sa clandestinité.

Il a passé plusieurs années sans compte bancaire: sans papiers, il est impossible d'en ouvrir un. Aujourd'hui, il utilise celui de l'un de ses amis, qui est rentré au Mexique. Ce compatriote lui a aussi laissé sa carte de bibliothèque. Pour Emilio, c'est un accès inespéré aux livres.

Une bonne partie de sa vie s'articule autour de son statut d'illégal. Ainsi, pour ne pas avoir à montrer de passeport, Emilio sait qu'il ne peut jamais envoyer plus de 950$ à la fois au Mexique par Western Union.

Il sait aussi que, s'il est arrêté par les autorités canadiennes et placé en détention, il pourra joindre un ami qui saura quoi faire avec ses affaires à Montréal. Enfin, sans carte soleil, il évite tout simplement de tomber malade.

Sa vie est tranquille.

«J'attends, tout simplement.»

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Emilio raconte sa vie avec beaucoup de vivacité et d'humour. Il n'est pas militant, ne demande rien, pas même de situation régulière au Canada.

«Ici, je n'aime pas le pays, je n'aime pas les gens. Il n'y a aucune chaleur», dit-il.

La clandestinité le limite.

«Ma situation me met mal à l'aise. Quand je sors, que je rencontre quelqu'un et que je dis que je suis commis, la conversation s'arrête. Je ne suis pas antisocial, mais je n'aime pas l'hypocrisie.»

Son rêve: partir vivre dans un village de Suède.

Emilio paraît résigné.

«En comparaison avec l'Amérique centrale, c'est sûr, ici, c'est le paradis. Mais il n'y a aucun paradis.

«J'ai mes rêves. Mais quand je me réveille, je me dis: merde, il n'y a pas d'avenir pour moi.»

*Le prénom a été modifié.