Dans la nuit du 5 novembre 2006, Marie, 16 ans, a accouché seule. Paniquée, elle a déposé son bébé dans un bois. Il est mort d'hypothermie. Marie a plaidé coupable à une accusation d'homicide involontaire. Le 30 juin dernier, elle a été condamnée à 18 mois de garde fermée, suivis de neuf mois en liberté surveillée. Notre journaliste Michèle Ouimet a rencontré la mère de Marie. Alors que le ministère de la Santé du Québec dévoile aujourd'hui le contenu d'un rapport très attendu sur les homicides intrafamiliaux, voici le récit troublant d'un infanticide.

Lorsque France* est entrée dans la maison au milieu de la nuit, elle s'est doutée que quelque chose clochait. Sa fille de 16 ans, Marie, était enfermée dans la salle de bains, et une tache sombre barbouillait le tapis.

Marie est finalement sortie des toilettes et s'est écroulée sur le lit, pâle, épuisée. «Ses jambes étaient couvertes de sang séché, raconte France. Il y avait une tache rouge sur le plancher de la salle de bains. C'était du sang.»

France était au bord de la panique. «Je me demandais ce qui se passait. J'ai dit à ma fille: «Raconte-moi la vérité, je ne te chicanerai pas.» Mais Marie était confuse. Elle ne cessait de répéter: «Je m'excuse, j'ai sali partout.» «

Marie a fini par avouer. «J'ai accouché dans les toilettes», a-t-elle dit à sa mère. France était bouleversée: elle ignorait que sa fille était enceinte.

Le bébé était viable, il avait entre 34 et 36 semaines. Marie a accouché en 10 minutes, à 4h du matin, assise sur le linoléum blanc, le dos appuyé à la baignoire. Elle était seule dans le modeste bungalow du compagnon de sa mère, dans un quartier planté au milieu de la forêt, à quelques kilomètres au nord de Sainte-Sophie.

Le bébé, un garçon, était couvert de sang. Il ne pleurait pas. Marie l'a pris dans ses bras, est allée dans la cuisine et a coupé le cordon ombilical avec des ciseaux. Elle a ensuite enveloppé le nouveau-né dans une serviette, puis elle a traversé la rue en courant, à moitié nue. Elle a déposé l'enfant dans le sous-bois en face de la maison. C'était en novembre, et le sol était couvert de frimas.

Le bébé est mort d'hypothermie. Il y avait des traces d'ecstasy dans son sang.

Marie n'avait qu'une idée en tête: tout nettoyer avant que sa mère et son amoureux reviennent à la maison.

«Marie ne veut pas déplaire, précise France. C'était la première fois qu'elle venait chez mon chum.»

Sa mère a appelé l'ambulance. Marie délirait. «Elle me disait: «J'ai mis ça dehors», raconte France. Je n'ai pas compris qu'elle me parlait du bébé.»

À l'hôpital, c'est le choc. «Un médecin est venu me voir et il m'a dit: «Il y a un cordon ombilical, donc un bébé. Il faut le trouver.»«

La nouvelle l'a assommée. Elle s'est écroulée au milieu du couloir. «Je pleurais. Je n'avais rien vu, rien compris. Ma fille avait accouché! Je me suis dit: Ça ne se peut pas!»

La veille, elles avaient passé la soirée ensemble. Marie avait mal au ventre. France pensait que c'était une gastro. Elle lui avait donné des Advil.

Vers 23h30, France est sortie avec son amoureux. Sa fille somnolait sur le sofa. Elle ne se doutait pas que le ciel lui tomberait sur la tête quelques heures plus tard.

Marie a passé deux jours à l'hôpital. À sa sortie, les policiers l'attendaient. «Ils l'ont embarquée et ils lui ont lu ses droits, dit France. Je l'ai suivie jusqu'au quartier général de la Sûreté du Québec. C'est là que j'ai su qu'elle était accusée de meurtre. Je trouvais ça insensé.»

Marie est menue. Ses cheveux fins flottent sur ses épaules. Le lundi 30 juin, elle a lu une lettre au juge Normand Lafond quelques minutes avant qu'il prononce la peine.

«Je veux vous expliquer comment je me sens à l'intérieur. J'avoue que je n'ai pas montré beaucoup de remords, mais il ne se passe pas une journée sans que je voie dans ma tête toute cette tragédie.»

Marie a pleuré. Doucement. Le juge l'a écoutée. Après lui avoir imposé une peine de 18 mois en garde fermée, il l'a prévenue. «Ça ne sera pas facile, il faut que tu tiennes le coup. On te voit un peu comme une victime de ton milieu familial.»

Un milieu rock'n'roll

Tout allait bien pour Marie jusqu'au jour où ses parents ont divorcé. Un divorce dur, déchirant, rempli de menaces et d'insultes. Marie avait 14 ans. Sa mère l'a envoyée vivre chez sa grand-mère, le temps que la poussière retombe.

Marie s'est retrouvée sans encadrement. Libre. À 14 ans. «L'âge des folies», dit sa mère.

C'est pendant cette période un peu folle que Marie a rencontré Olivier, le père de son bébé. «Elle était en amour par-dessus la tête», se rappelle France.

Marie a séché ses cours à l'école, elle a fumé du pot, pris de l'ec-stasy, fait l'amour.

Pendant ce temps, ses parents se déchiraient. France a fait faillite, la maison familiale a été saisie. Le stress était énorme. Elle a fait une dépression. Elle était incapable de voir que sa fille dérapait.

Le père de Marie a passé de nombreuses années en prison et il a souvent tenté de se suicider. Le jour où France lui a dit qu'elle le quittait, il a menacé de se tuer avec une arbalète.

Ses relations avec sa fille étaient tendues. Après le divorce, il a essayé de reprendre contact avec elle. Il lui a écrit une lettre.

«Je suis un rock'n'roll. Je passe pour un dur, un Harley, j'écoute du rock, je me gèle, mais je suis loin d'être une personne méchante et rough and tough. () J'aimais ta mère à la folie. Il ne se passe pas une heure sans que je verse une larme.»

Marie baignait dans les problèmes de ses parents. Elle leur a caché sa grossesse. «Elle trouvait que j'en avais assez sur les épaules, elle ne voulait pas m'accabler», croit France.

Marie a tenté de trouver du réconfort auprès d'Olivier, le père du bébé. Elle s'est heurtée à un mur d'indifférence. Le 4 novembre 2006, 24 heures avant l'accouchement, Marie a senti les premières contractions. Elle était chez Olivier. Elle lui a demandé de l'emmener à l'hôpital. Il a refusé. Pas question non plus de lui payer un taxi. Trop cher. Il lui a dit de prendre des Advil et un bain chaud. Il voulait dormir en paix.

La suite de l'histoire est connue: l'accouchement, la solitude, le bébé abandonné, les accusations de meurtre, la condamnation.

Olivier, lui, n'a pas été accusé ni traîné en cour. Marie est la seule à payer pour leur erreur.

*Tous les noms sont fictifs.