Il faudra encore patienter un peu avant de pouvoir s’envoler vers des destinations éloignées. En attendant, pourquoi ne pas explorer les archives de La Presse et lire des reportages touristiques d’une autre époque ? Certains ont assez bien vieilli, d’autres moins. Au cours des prochaines semaines, nous présenterons de petites trouvailles qui nous permettent de voir le monde à travers les yeux des voyageurs de l’époque.

Le poète Olivier Marchand a longtemps travaillé comme rédacteur-traducteur à La Presse Canadienne. Il a également passé quelques années à La Presse en tant que titreur, correcteur et rédacteur de nouvelles internationales. C’est à cette époque qu’il fait une petite virée dans l’Ouest canadien. Il en revient avec un texte touristique qui allie la poésie à l’observation sociale, publié le 13 novembre 1965.

Ce voyage, c’était mon premier à l’ouest de l’Ontario. Cela lui donne déjà une originalité et il était fait dans le but bien précis d’aborder cet univers de mon pays.

L’Ontario, c’est tout à côté. C’est du concret.

Les Maritimes, c’est l’Atlantique, la mer qui baigne aussi l’Europe. C’est rassurant.

Les Maritimes, c’est Robichaud, Durelle, Louisbourg, la porte de la contrée. C’est saisissable.

L’Ouest, après ce voyage-éclair, c’est encore quelque chose de confus.

L’Ouest, après les grandes étendues sauvages du Nord ontarien, les centaines de milles de forêts, c’est quelque chose de radicalement autre.

Des plaines, puis les Rocheuses et le Pacifique, dans un flamboiement de montagnes, de nature géante, généreuse.

L’Est et l’Ouest, de part et d’autre d’un désert où le sable est blé, avec deux océans attenants à des mondes-antipodes.

Voilà, vaguement résumé, tout ce qui peut faire le paradoxe de cette étrange bande de terre, longue de milliers de milles, qui s’appelle le Canada.

C’est à Vancouver que le journaliste-poète commence sa visite de l’Ouest canadien.

Cette ville, bien abritée dans ses milliers de montagnes, dans ses buissons ardemment abondants, ses fleurs trop belles, ses arbres trop grands.

Des impressions d’inachevé, de jeunesse. Vancouver, il y a 50 ans, cela commençait.

Des minorités juxtaposées : Vancouver, ses Indiens, ses Asiatiques, ses Britanniques. Un manque de soudure entre les êtres et le sol.

C’est ici que le journaliste délaisse un peu la poésie pour entrer dans le domaine de l’étude sociale.

Un vivace souvenir, c’est cette vieille Indienne, assise sur un banc à un arrêt d’autobus, dans le centre de Vancouver, près des grands hôtels, cirant sa haine, son amertume.

Mais aussi, cette infirmière hollandaise, dont le père est mort dans un camp de Japonais en Indonésie, qui a dû fuir devant Soekarno, et qui travaille parmi ces Indiens chez qui elle trouve le supplément de foi pour accepter l’exil.

Cet exil, elle le partage avec des milliers de Néo-Canadiens : Chinois, Italiens, Hollandais, Hongrois. Car l’immigration fait aussi craquer Vancouver aux coutures : rue Robson et tout autour, en plein cœur de la ville, une atmosphère continentale, balkanique. La partie la plus chaleureuse.

Je n’allais pas à Vancouver pour faire enquête sur les groupes ethniques mais le hasard, un hasard que je n’ai pas voulu, m’a plongé dans ce monde de l’immigrant, ce monde qui me paraît au pays le plus agressif, le plus mordant, le plus authentiquement chargé de vitalité.

Le journaliste-poète poursuit sa visite, et son observation sociale, dans les provinces des Prairies.

Et si je pense aux Prairies, je songe avant tout aux milliers d’Ukrainiens, de Polonais, de Hollandais, qui travaillent ce sol, qui lui font rendre. Calgary, Regina et Winnipeg, en ce mois de septembre, où j’y étais, semblaient possédées par le vent de la steppe. La bise soufflait gaillardement sur ce pays encore trop neuf pour être achevé le moindrement.

Regina, c’est posé sur la plaine, sans être très bien ancré.

Le journaliste semble particulièrement impressionné par le transport aérien, par le rapprochement qu’il peut opérer.

L’avion, les Vanguard, les Viscount, les DC-8 d’Air Canada, qui brassent sans relâche de leurs hélices le ciel de ce pays, ouvrent, chaque jour, un peu plus grandes les portes de ce pays-univers. Il fallait l’avion pour révéler le Canada à lui-même.

L’avion nous donne un aspect tout autre du pays qu’un moyen de locomotion plus lent.

De ce voyage en saut de puce, je ramène la pensée d’un Canada aux dimensions quelque peu effrayantes, aux dimensions qu’il faudra encore beaucoup de temps pour marquer les quatre coins de ce pays. Mais avec l’avion, qui part, arrive avec aisance, rien ne me semble plus impossible. Les hommes se touchent tous. Ils n’ont plus qu’à ne plus vouloir être étrangers.

On peut naviguer dans les archives de La Presse, et d’autres journaux québécois, sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3216691