Quelles étaient les pratiques touristiques du Québec il y a un siècle? Nous avons voyagé dans le passé pour tenter de dépoussiérer ces vacances en noir et blanc.

Depuis nos sièges d'avion, difficile de concevoir à quoi pouvait ressembler le tourisme de naguère. Et de s'imaginer qu'il y a un siècle, nos arrière-grands-parents s'adonnaient déjà aux joies des vacances et de la découverte. À leur façon, s'entend. Où allaient-ils? Pourquoi?

Premier constat: c'est justement à cette période, dans les années 20, que le Québec amorce un virage dans ce domaine, avec les balbutiements de l'automobile. «C'est le début d'une transition entre tourisme de villégiature et tourisme automobile, qui va permettre aux gens de pénétrer dans les régions selon leurs propres choix», observent les bibliothécaires Michèle Lefebvre et Danielle Léger, coauteures de l'ouvrage Destination Québec.

Jusqu'alors, voies fluviales et ferroviaires dominaient l'échiquier touristique: elles avaient créé une myriade de pôles au gré du Saint-Laurent, au sommet desquels trônaient le Saguenay et Charlevoix. En 1918, le parc automobile est encore très restreint et réservé aux nantis, mais grossira de façon exponentielle dans les décennies suivantes, ce qui a entraîné l'essor d'infrastructures durant l'entre-deux-guerres: hôtels (le Château Montebello date de 1930), plages, routes, cabines (les ancêtres des motels), guides automobiles touristiques...

Des régions autrefois peu accessibles sont désenclavées, telles que la Gaspésie. «À partir de 1929, le tourisme s'y est vraiment développé avec l'ouverture de la route 6, devenue la 132 aujourd'hui. C'est la création du tour de la Gaspésie, qui prenait deux à trois semaines à l'époque», rappelle l'historienne Jacinthe Archambault.

De plus, le gouvernement mettra les bouchées doubles pour encourager le tourisme intérieur afin de relancer une économie frappée de plein fouet par la crise économique.

Entre fuite et aspirations 

À une époque sans aviation de masse ni réseaux sociaux, quelles étaient les aspirations des Canadiens français privilégiés pouvant se permettre des vacances? Un désir de fuite urbaine semble impulser les départs et les villégiatures.

«C'est un phénomène avant tout urbain, et au départ sanitaire. À la fin du XIXe siècle, la ville est insupportable, elle grossit très rapidement, et de graves épidémies sévissent», explique Philippe Dubé, historien.

«À cette époque, il y avait un courant idéologique, l'antimodernisme, qui critiquait l'urbanisation et le tenait responsable de problèmes sanitaires: pollution, maladies, confirme Jacinthe Archambault. Les gens vont chercher à s'éloigner de la ville pour trouver un mode de vie et un environnement plus naturels.»

Une fuite, certes, mais qui ne saurait occulter certaines attractions. M. Dubé a forgé le terme d'«empaysement» pour décrire les aspirations du villégiateur d'antan.

«Autant le touriste se dépayse, le villégiateur cherche à "s'empayser", à s'ancrer dans un lieu, à prendre contact avec les gens, à construire», avance-t-il.

«En Gaspésie, les touristes vont chercher à se rapprocher des paysages, des plages, de la nature, mais désirent aussi connaître des personnages du folklore: pêcheurs, femmes qui font du pain sur le bord de la route, enfants... C'est ce qu'ils mettaient de l'avant dans leurs écrits», complète Mme Archambault.

La plage, ça ne date pas d'hier

En ce début de siècle, pas question de Caraïbes ni de Floride. Ce n'est pas pour autant que les vacanciers se privaient des joies de la plage. La fraîcheur des rives était même recherchée, ce qui a amené l'aménagement de lieux aussi bien dans les environs de Montréal qu'au gré du Saint-Laurent, comme Kamouraska (privilégié par les francophones) et Cacouna (qui séduisait les anglophones), alors très en vogue. «Les plages ont été fréquentées dès le début, surtout que les médecins recommandaient le bain, jugé bon pour la santé», note Philippe Dubé.

Des activités et des périodes d'oisiveté qui n'étaient pas vues d'un bon oeil par l'Église. Mais il en aurait fallu plus pour refroidir les Canadiens français et les dissuader de profiter de ces eaux souvent frisquettes.

Le ski prend son envol

L'été sur les rivages, mais quid de l'hiver? Si le patinage et la raquette sont déjà pratiqués depuis belle lurette, le ski local fait une percée. «Au cours des années 20, il devient à la mode et participe au développement de la région des Laurentides. Les activités les plus populaires sont alors le ski de fond et le saut à ski», nous apprend Danielle Léger. Plus désuet : on pratique aussi le ski-joring, tracté par un cheval ou un attelage de chiens! «Le ski alpin sera introduit à la fin des années 20, avec les premiers remonte-pentes, qui n'étaient que de simples câbles tirés par un moteur.»

L'étranger, si lointain

De nos jours, un coup d'avion, et on atterrit au Japon. Malgré des moyens de transport plus limités, nos aïeux avaient-ils soif de nouveaux horizons?

«C'est minime», atteste Philippe Dubé, qui cite les destinations de Paris, Londres et Rome; cette dernière attirait surtout les fervents pèlerins. «Aux États-Unis, on se rend en train dans le Maine et le Massachusetts où les plages, de sable et non de galets, sont plus agréables. C'était aussi l'occasion de regroupements pour les familles dont certains membres avaient émigré en Nouvelle-Angleterre.»

Un portrait qui semble anachronique, tout comme nos pratiques touristiques le paraîtront en 2120, quand nos petits-enfants ricaneront: «Tu imagines, à l'époque, ça prenait sept heures d'avion pour aller en Europe...»

Photo fournie par BAnQ, P560,S1,P368/Fonds J. E. Livernois Ltée/Vacanciers à la plage de Cacouna/Photographe non identifié/Vers 1900

Une tout autre philosophie de la plage pour ces vacanciers à Cacouna. Cette photo date du début XXe.

LE TOURISTE D'ÉPOQUE

Col blanc ou un notable

Le touriste ou villégiateur d'époque est généralement un col blanc ou un notable, qui dispose de longs congés et de moyens financiers: juriste, intellectuel, médecin, professeur, homme d'affaires. Souvent, ces derniers «déposaient leur famille, retournaient travailler en ville puis revenaient chercher leur famille à la fin du séjour», nous apprend l'historien Philippe Dubé.

Urbain

Il est urbain et cherche à échapper à sa grande ville jugée trop chaude, trop polluée et malsaine.

Les francophones et les anglophones

Contrairement à un cliché tenace, les francophones tout comme les anglophones s'adonnaient au tourisme.

En famille

Il se déplace et séjourne en famille, plus rarement en couple.

Motorisé

Au début du siècle, il se déplace essentiellement en bateau et en train. À partir des années 20, les automobiles se multiplient (on en compte 100 000 environ en 1926), mais il faut attendre les années 50 pour qu'elles deviennent majoritaires.

Photo fournie par BAnQ, Fonds Famille Landry

La famille de Blanche Lacoste et de Joseph Philippe Landry, accompagnée d'amis, en villégiature en 1919 à la Pointe de Rivière-du-Loup. Farniente, plage, tennis, tricot et promenade sont notamment au programme de leurs activités.

ÇA PEUT FAIRE SOURIRE AUJOURD'HUI

En un siècle, les moeurs touristiques ont beaucoup évolué. En épluchant ouvrages et documents évoquant cette époque de plus en plus lointaine, nous avons relevé certains faits ou pratiques qui, de nos jours, peuvent paraître bien insolites.

Cartes postales macabres

Au début du siècle, la tante Babette pouvait très bien vous envoyer de ses nouvelles avec une carte postale... catastrophique. En effet, drames et explosions constituaient de véritables attractions touristiques. Les archives de BAnQ détiennent ainsi une carte de 1909 figurant l'effondrement du pont de Québec qui avait eu lieu un an plus tôt. Une autre carte postale montre les résultats de l'explosion d'une usine à Hull, en 1910, ou encore l'incendie du Château Frontenac en 1926.

Image fournie par Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bons baisers de Québec! En souvenir, une petite carte postale de l'effondrement du pont de Québec qui a coûté la vie à plus de 76 ouvriers en 1907.

Routes et déroutes

L'état des routes du Québec a mauvaise presse, et ça ne date pas d'hier! Dans les années 1910, La Presse dénonçait leur piteuse condition et lançait des appels à ses lecteurs pour récolter des photos des tronçons les plus mal en point. L'ouvrage Trois siècles de tourisme au Québec nous apprend même que le journal ira jusqu'à construire une portion de route à ses frais en 1912, dans la paroisse de Longueuil en direction de la frontière américaine, pour presser le gouvernement à développer les infrastructures!

Image fournie par BAnQ

Les infrastructures automobiles du Québec ne se développaient pas assez vite au goût des journaux de l'époque. Sur cette carte postale, on voit une auto longer le lac Maskinongé dans les années 20.

Sous la tente sur les plaines

Avant le 400e anniversaire de Québec, il y a eu... le 300e, évidemment. Et il n'en a pas moins été un événement fortement célébré. En 1908, 150 000 visiteurs ont convergé vers la ville, soit plus du double de sa population. Les structures d'accueil étant pleines, l'histoire s'est terminée sur les plaines. «On aménage un village éphémère de tentes sur les plaines d'Abraham», nous apprend le livre Destination Québec. Les particuliers louaient même leurs chambres: c'était Airbnb avant l'heure!

Photo fournie par BAnQ, P546,D3,P56/Fonds Fred C. Würtele/Quartier Montcalm-Plaines d’Abraham-Tricentenaire/Fred C. Würtele/1908

Un village de tentes a dû être aménagé sur les plaines d'Abraham, les capacités hôtelières de la ville étant saturées.

Que cela se sache: j'y étais!

Aujourd'hui, pour faire savoir où on passe ses vacances, on diffuse des égoportraits à foison sur les réseaux sociaux. Autour des années 20, les divers journaux de l'époque publiaient plutôt des listes de noms de notables ou de gens «importants», en précisant leur lieu de vacances, voire leur hôtel. Certains envoyaient même les détails de leur destination aux journaux pour qu'ils en fassent mention. «Il était socialement bien accepté de voir son nom dans une liste de vacanciers qui se démarquaient des autres», lit-on dans Villégiatures et tourisme au Québec.

Photo Conrad Poirier, fournie par BAnQ

À l'époque, les journaux diffusaient les noms, métiers et lieu de vacances des notables et gens haut placés. Sensationnalisme de presse à potins? Pas du tout, cela était bien vu dans ce temps-là. Sur cette photo, un kiosque à journaux en 1938.

Un journal acheté, un terrain offert

Dès 1925-1926, le journal La Patrie a fondé et fait la promotion de son propre lieu de villégiature, Plage-Laval, et offrait des terrains à prix cassés à ses abonnés. «En s'abonnant pour six mois à La Patrie, on obtient automatiquement le privilège de pouvoir acheter un ou plusieurs terrains à Plage-Laval, situé sur les bords de la rivière des Mille Îles», relate le même ouvrage. Désolé, un siècle plus tard, La Presse n'offre pas à ses lecteurs de lots bradés à Mont-Tremblant...

Image fournie par la BAnQ

Certains journaux faisaient la promotion de leurs propres lieux de villégiature, comme La Patrie, qui a fondé Plage-Laval.