Malgré des heures passées à leurs côtés en plein vol, 
nos voisins de siège demeurent souvent anonymes. 
Notre collaboratrice a voulu briser cette bulle invisible, faisant des découvertes aussi étonnantes qu'enrichissantes.

- Miglito Vixamar, 36 ans, inspecteur alimentaire 

- Habite Montréal 

- Rencontré lors d'un vol Port-au-Prince-Montréal

Dans la file, j'avais remarqué ce jeune homme qui rigolait avec les employés de l'aéroport. Une fois dans l'avion, je lui demande tout bonnement son lien avec eux.

«Ils sont d'anciens collègues. J'ai travaillé comme agent de sécurité à l'aéroport avant de quitter Haïti, il y a 10 ans. J'ai obtenu ma résidence permanente canadienne il y a quelques mois. Je peux donc partir et revenir sans problème. J'ai enfin pu visiter ma grand-mère en Haïti.

- Et comment s'est passé le retour au pays natal?

- J'ai pleuré en arrivant. D'émotion, bien sûr, mais aussi en constatant l'ampleur de la pauvreté et du travail à faire. Pour moi, Haïti n'est pas un pays pauvre, c'est un pays mal géré. Si les jeunes pouvaient trouver du travail, on ne voudrait pas tous partir.»

Miglito me raconte son parcours d'exilé.

«Je suis arrivé à Montréal, seul, comme visiteur. J'ai commencé à travailler tout en faisant les démarches nécessaires pour obtenir le statut de résident permanent. Je savais que je pouvais être renvoyé dans mon pays à tout moment. Avoir un permis de travail, c'est relativement facile, mais quand tu as un numéro d'assurance sociale qui commence par 9, tu as peur. Tout le temps. Tu crains le coup de téléphone, la lettre du gouvernement te sommant de partir. Ça te force à être un citoyen et un travailleur modèles.»

Miglito soupire, manifestement soulagé que ces années d'angoisse soient maintenant derrière lui.

«Les gens ne réalisent pas ce que ça représente de tout quitter pour tenter sa vie ailleurs. Mais on est forts, nous, les Haïtiens. Quand j'étais petit, mes parents sont partis, eux aussi, aux États-Unis, et ma grand-mère nous a élevés, mes frères et moi.

- Vous ne pouviez pas aller les retrouver?»

Il me regarde, sourire en coin.

«Tu ne sais pas comment ça marche, hein? Ils sont partis en 1989 et je ne les ai revus que neuf ans plus tard. Quand on est sans papiers, on ne peut pas faire de démarches de réunification familiale. Ma fille, c'est 10 ans de sa vie que j'ai ratés pour les mêmes raisons.»

Je lui demande comment il a finalement obtenu sa résidence permanente.

«Je ne voulais dépendre de personne et parvenir à mes fins seul, sauf que, le classique... je suis tombé amoureux d'une de mes collègues chez Provigo, où je travaillais comme assistant-gérant. On s'est mariés en 2013, on a acheté un condo, on a eu un enfant et j'ai finalement accepté qu'elle nous parraine, ma grande fille [restée en Haïti] et moi. Elle habite maintenant avec nous à Montréal. Sa mère avait plus hâte que moi qu'elle quitte Haïti!

- Et elle aime sa nouvelle vie?

- Tu sais, quand tu as vécu dans la misère, tu ne peux pas croire que tu as de l'eau courante ou de l'électricité 24 heures sur 24. Toutes les commodités de base, pour elle, c'est un luxe. Je lui ai dit qu'elle pourrait retourner voir sa mère tous les étés. Tu sais ce qu'elle m'a répondu? Peut-être dans cinq ans!»

Miglito espère tout de même retourner dans la perle des Antilles avec toute la petite famille l'hiver prochain.