Sur la côte est de la Sicile, il y a un hameau qui s’appelle Cassibile. En le découvrant par hasard, il y a près de deux ans, je me suis presque convaincu qu’il s’agissait du lieu de naissance de mon ancêtre.

En 1800, une douzaine d’années avant qu'Antonio Cassivi ne traverse l’Atlantique pour s’installer en Gaspésie, on ne trouvait que 16 Italiens de naissance dans le Bas-Canada. Entre 1665 et 1860, il n’y a que cinq immigrants siciliens qui se sont établis dans ce qui est aujourd’hui le Québec.

La famille Cassivi est l’une des plus anciennes familles italiennes du Québec, ai-je appris récemment dans l’ouvrage de l’historien Marcel Fournier Les premiers Italiens du Québec, qui vient de paraître aux Éditions GID.

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Vue sur la mer de la ville de Taormina, en Sicile

Mon ancêtre s’appelait-il vraiment Antonio Cassivi – un nom qui n’existe pas en Italie aujourd’hui – ou son patronyme a-t-il été mal orthographié, comme quantité d’autres noms d’immigrants à leur arrivée en Amérique, sans qu’il ne se soucie de le faire corriger ?

Se nommait-il plutôt Antoni Cassovi, comme l’affirment certains généalogistes, Antonio Cassini, à l’instar de la célèbre sonde spatiale, ou encore Cassibile ? Je me le suis demandé en apercevant ce nom de village sur une pancarte d’autoroute, entre Ragusa et Siracusa, les deux villes où, selon différentes versions de l’histoire, mon aïeul serait né à la fin du XVIIIsiècle. C’est, du reste, à Cassibile que fut signé en secret l’armistice entre l’Italie et les Alliés, en 1943.

C’est sur les traces d’Antonio (ou Antoni) Cassivi (ou Cassovi) que j’ai fait un premier voyage en Sicile, à l’été 2019. Un pèlerinage familial, en famille, pour montrer à mes Fistons d’où vient leur nom (ils n’en avaient cure, bien sûr ; ainsi va l’adolescence).

Nous avons commencé par Siracusa, ville de bord de mer charmante, avec ses vieux quartiers piétonniers et sa jolie cathédrale blanche.

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Un panneau sur le chemin de Siracusa et Cassibile

Face à la mer, à l’angle d’une venelle de l’île d’Ortigia (la vieille ville), j’ai mangé dans une petite trattoria familiale le plat de poulpe le plus mémorable de mon existence. Ceux qui me connaissent bien pourraient le confirmer : j’ai une mémoire du ventre. J’oublie les noms de villes, de monuments ou de plages que j’ai visités. Je me souviens en revanche, comme si c’était hier, du poulpe entier, grillé à la perfection, à la fois tendre et croustillant, apprêté avec une persillade et une réduction d’agrumes acidulée, du restaurant aLevante.

Stanley Tucci a comme moi, sans doute, une mémoire du ventre. Il me fait rêver à un autre voyage dans le pays de mes ancêtres grâce à la nouvelle série qu’il anime depuis peu à CNN, Searching for Italy, tournée avant la pandémie. Le comédien et cinéaste (Supernova, Big Night) est fasciné par les cuisines régionales du pays d’origine de ses parents calabrais. Le week-end dernier, à son émission, il visitait justement la Sicile, sur les traces de viticulteurs, agriculteurs et restaurateurs qui sortent de l’ordinaire.

Comme Stanley Tucci, je n’ai pas fait tout le tour de la plus grande île de la Méditerranée pendant ce mémorable voyage de deux semaines. Nous nous sommes concentrés sur la partie orientale de l’île. De Siracusa, nous nous sommes rendus à Modica, magnifique ville du triangle baroque, juchée comme les deux autres (Ragusa et Noto, aussi inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO) à flanc de montagne.

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La ville baroque de Modica

En soirée, en prenant un verre sur une splendide terrasse ombragée, dans un jardin des hauteurs de la ville (Il Bar Sabadi), j’ai eu l’impression de me retrouver au Moyen-Orient devant des maisons qui semblaient être sculptées à même le roc. La bière était peut-être un peu forte… On sert au Sabadi, en accompagnement de la bière et en dégustation, une sélection des fameux chocolats granuleux de Modica, préparés selon une méthode ancestrale.

Noto et Ragusa, qui surplombent des vallées, sont des splendeurs architecturales en grande partie reconstruites – comme Modica – après l’énorme tremblement de terre de 1693. En marchant dans le quartier médiéval de Ragusa (Ibla), j’ai imaginé mon ancêtre Antonio foulant les rues de pavés de la ville où il est né (selon l’historien Marcel Fournier).

Les édifices majestueux de l’avenue principale de Noto, le Corso Vittorio Emanuele, baignent le jour comme la nuit dans une lumière dorée, naturelle ou artificielle, d’intensités variables. C’est un fabuleux décor de cinéma, immortalisé dans L’Avventura, chef-d’œuvre de Michelangelo Antonioni. C’est aussi là que l’on retrouve le célèbre gelato du Caffe Sicilia (que Fiston a jugé en deçà de sa réputation).

Ce décor princier tranche avec la pauvreté qui règne un peu partout en Sicile. C’est ici que le taux de chômage est le plus important en Italie. On en a un aperçu dès qu’on sort des quartiers plus touristiques, ne serait-ce qu’à la vue des amoncellements de détritus laissés en bordure des routes sur le chemin des plages. Des maisons abandonnées, voisines de décharges improvisées, à ciel ouvert. Je n’avais vu ça que dans certains recoins reculés de l’Amérique latine ou de l’Inde.

Quelques kilomètres plus loin, pourtant, on trouve des plages de sable blanc dignes des Caraïbes. Celle, isolée et sauvage, de Calamosche, une anse que l’on doit rejoindre à pied par un sentier d’un kilomètre, est particulièrement spectaculaire. Nous n’avions malheureusement pas apporté assez d’eau, un jour où le soleil plombait, pour pleinement l’apprécier…

Dans le village balnéaire de Marzamemi, destination aussi pittoresque que kitsch, j’ai mangé à la Taverna La Cialoma d’inoubliables pâtes aux sardines (alle sarde), sur une terrasse donnant sur la mer. Au square de la vieille ville, legs du passé arabe de la Sicile, j’ai acheté beaucoup (trop) de ricotta salée, celle que l’on ajoute à un autre plat de pâtes typiques de la région, la pasta alla Norma (avec des aubergines frites dans une sauce de tomates cerises de Pachino). Norma, oui, comme le titre du célèbre opéra de Bellini.

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Le 65e Festival du film de Taormina

Notre voyage sicilien s’est achevé dans l’un des décors les plus emblématiques de l’île, sur la colline de Taormina, malheureusement envahie de touristes. Nous sommes arrivés juste à temps pour assister à la cérémonie de clôture du 65e Festival du film – mettant en vedette le Sicilien Giuseppe Tornatore, le regretté Ennio Morricone, le président du jury Oliver Stone et la star Nicole Kidman – en plein air, dans le magnifique amphithéâtre grec, qui offre une vue de carte postale sur la mer et sur l’Etna.

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L’Etna

Avant de reprendre l’avion à Catane, à la suggestion d’une amie, Florence (qui n’est pas d’origine toscane), nous avons fait une randonnée dans les sentiers du célèbre volcan sicilien. Un décor lunaire de pierre volcanique noire et d’arbres blancs, calcinés par des éruptions. Il y en a d’ailleurs eu une deux semaines plus tard ! Je me demande si Antonio s’y est risqué, lui aussi, il y a 220 ans.