Nichés dans les contreforts des Carpates, une centaine d'hectares de terre sont couverts d'un tapis blanc odorant dans la vallée unique des narcisses en Ukraine, menacée par des hordes de touristes foulant les plantes et l'osier qui envahit le site.

«C'est la plus grande plantation européenne de Narcissus angustifolius localisée en plaine, alors que cette espèce, protégée par la Convention de Berne, pousse normalement en haute montagne», explique à l'AFP Fedir Gamor, directeur de la réserve des Carpates, dont fait partie cette vallée.La superficie totalement couverte de fleurs constitue une centaine d'hectares sur la surface totale du val de 256 hectares, précise ce docteur en biologie.

«Généralement, on trouve ce narcisse à au moins 1800 m de hauteur, mais chez nous il a été évincé dans les contreforts des Carpates par un glacier il y a des dizaines de milliers d'années et se trouve actuellement à 100-150 mètres», explique la scientifique.

Ce n'est pourtant pas l'intérêt scientifique qui pousse des dizaines de milliers de touristes à visiter cet endroit en Transcarpatie, à une centaine de kilomètres du centre régional d'Oujgorod, mais la magie de son paysage blanc-vert exhalant une odeur suave.

Pendant la floraison des narcisses en mai, des centaines de voitures s'alignent le long des rues du village de Kirechi, situé au bord de la vallée. «Nous recevons alors 5000 à 6000, voire 10 000 personnes par jour», raconte M. Gamor.

Tous ne se comportent pas de façon civilisée, malgré une clôture rudimentaire séparant les champs fleurissants des sentiers piétons, estime-t-il. Quelque modestes pancartes exhortent à ne pas arracher les plantes et une amende de 12 hryvnias (1,2 euro) par narcisse détruite est prévue, un montant «ridicule» selon l'expression de Gamor.

Beaucoup veulent se faire photographier au milieu des plantes, les foulant au point de laisser des taches de terre nue. «Rien ne pousse après dans ces zones mortes», déplore le directeur de la réserve.

Autre problème: la population locale, surtout enfants et adolescents qui arrachent des narcisses pour les proposer aux touristes.

Une dizaine de gardiens ont beau tenter de protéger le site, ils n'ont pas le droit de percevoir l'amende sur place et ne peuvent qu'établir un procès-verbal envoyé au tribunal, qui décide plus tard de l'imposition des sanctions.

Au bout du compte, seule une petite partie des amendes est payée en réalité, souligne M. Gamor.

L'activité agricole et surtout les travaux de bonification menés par les autorités soviétiques dans les années 60 ont déséquilibré le régime hydrologique de la vallée, asséchant ses terres marécageuses.

C'est ainsi que la plus grande menace pour ce site a été créée: l'invasion d'osier qui a commencé à se répandre rapidement dans la vallée.

«Nous sommes aujourd'hui impuissants face à cette situation» faute de fonds nécessaires, soupire M. Gamor. «Selon des estimations d'experts étrangers, il faut dépenser annuellement un millier d'euros par hectare pour une lutte efficace contre l'osier. Nous, on n'a pas reçu un kopeck de l'Etat cette année, juste de l'argent pour payer les salaires», dit-il.

Avec les fonds payés par des touristes et l'aide des autorités régionales, l'administration de la réserve s'efforce de couper la broussaille, ne serait-ce que partiellement, sur une vingtaine ou une trentaine d'hectares par an.

«La coupe se fait à la main, avec des haches et des scies circulaires. C'est un travail très dur», fait valoir le directeur. «Si on ne fait rien, dans 50 ou 100 ans, la vallée sera couverte du bois», dit-il.