De l'autoroute 40, on aperçoit chaque hiver depuis la fin des années 30 le petit village de cabanes qui pousse sur la rivière Sainte-Anne. Curiosité pour les uns, arrêt obligé pour les autres, la pêche aux petits poissons des chenaux est souvent une occasion de se réunir en famille ou entre amis. Portraits de pêcheurs apprentis ou aguerris.

Des cabanes et des pêcheurs

Il y a autant de raisons de pêcher que de cabanes à louer à Sainte-Anne-de-la-Pérade. Dimanche dernier, nous avons cogné à la porte de quelques chalets pour aller à la rencontre de pêcheurs.

Mélange de cultures

Sarah est postée devant la cabane de pêche et regarde les poissons qui ont fini leur vie sur la rivière. Force est d'admettre qu'elle a perdu le compte. « Tantôt, on en avait 81. Là, on doit être rendus à un peu plus de 100... » Si la jeune fille de 7 ans recense les prises, reste que pour la famille Bérard et ses amis partis de Lanaudière le matin, la pêche n'est qu'un prétexte pour passer du bon temps ensemble. « On venait avec notre grand-père », se souvient Nathalie Bérard. Aujourd'hui, la famille fait découvrir la tradition à des amis cubains, et le rhum qui trône sur la table aux côtés des oeufs dans le vinaigre témoigne de cet heureux métissage.

Premier hiver

Les poulamons qui sortaient de l'eau pour se retrouver dans la cabane des familles Takazono et Ichikawa ont dû se surprendre de l'accueil qui leur était réservé. Les cris de joie des petits Japonais résonnaient bien fort chaque fois qu'un poisson était pris à l'hameçon, et seule la petite de 5 mois bien endormie dans les bras de son père restait indifférente au brouhaha. L'enthousiasme d'un premier hiver passé au Québec pour ces familles qui resteront deux ans au pays.

Le passionné de la cabane 22



8292. Voilà le nombre de poissons qu'avait sortis de l'eau Raymond Lefebvre à la veille de quitter son « camping » de Sainte-Anne-de-la-Pérade. Chaque année, l'homme de Rigaud passe au moins une semaine sur la rivière gelée. Le jour, il pêche, la nuit, il y dort. « Je ne suis pas un pêcheur de calibre, mais celle-là, c'est MA pêche », dit-il, avant d'expliquer comment il prépare le poulamon en « six coups de couteau ». Aux novices qui viennent le visiter, il révèle ses secrets de pêche et livre quelques recettes pour apprécier le poisson, que bien des pêcheurs répugnent à manger. L'une d'elles : faire une chapelure avec des croustilles !

Les amis

Lorsqu'il était plus jeune, Patrice Marcoux passait des nuits à Sainte-Anne-de-la-Pérade, un lieu bien connu par les fêtards. « On a fait ça il y a 20 ans, mais maintenant, c'est différent, c'est familial », dit-il. Sa conjointe et celle de son ami Éric Bédard étant au travail, les deux amis avaient donc amené leurs enfants passer la journée à pêcher. Julien, Élodie, Étienne et Élie semblaient s'amuser ferme. « Il faut bien les occuper ! », dit Patrice Marcoux.

Les gourmands

C'est tout un festin qu'avait concocté ce groupe d'origine chinoise dans la petite cabane. « L'an dernier, on n'avait rien apporté pour faire à manger. Cette année, on s'est préparés », dit Yang Yang, qui était accompagnée de sa famille et de ses amies, dont plusieurs venaient à la pêche pour la première fois. Au centre de la table trônaient deux plats de fondue au poulamon, accompagnée de riz, comme il se doit.

Les enfants

« Ark, ouache, ce poisson-là a des oeufs ! » Il est tôt en ce dimanche matin, et les jeunes Coralie St-Cyr et Arianne Robitaille rechignent presque à toucher aux poissons qu'elles pêchent. Quelques heures plus tard, elles manipulent les pauvres poissons comme des marionnettes devant le photographe. Les enfants se sont amusés (« L'année passée, ils trouvaient ça long »), et la pêche a été bonne pour la famille de Cap-Santé.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Raymond Lefebvre a pêché très exactement 8292 poissons lors de son traditionnel séjour sur la rivière Sainte-Anne.

Une affaire de tradition

La pêche au poulamon a cours sur la rivière Sainte-Anne depuis la fin des années 30, mais c'est pendant les années 50 et 60, avec l'organisation d'un carnaval fort couru, que l'activité a vraiment pris son envol.

« Les haut-parleurs crachent de la musique tandis que les gens dansent et chantent dans les rues. Des lumières électriques sont accrochées au-dessus de la rivière blanche, des centaines de colonnes de fumée s'élèvent des chalets en bois », écrit le New York Times le 12 janvier 1964, ajoutant qu'une cabane se loue 2 $ par personne, pour une période de 12 heures. Pour un dollar de plus, on pouvait passer une nuit dans un hôtel de la région !

Les prix ont augmenté avec les années, mais on devine que l'ambiance est restée sensiblement la même. Les cabanes ont peu changé, de vieilles lumières s'illuminent au-dessus de la rivière quand le jour tombe.

On a souvent associé la pêche sur glace à Sainte-Anne-de-la-Pérade à de légendaires beuveries. Une réputation qui n'était pas surfaite, dit Raymond Lefebvre, qui y pêche depuis 30 ans. « Il y a certaines années, ça marchait avec les poings. Il y avait des batailles, c'était l'enfer, ça dégénérait », raconte-t-il.

Les choses ont changé, assure Pierre Gravel, de la pourvoirie Marchand & Fils. « Avant, on associait la pêche à une caisse de bière. Aujourd'hui, c'est familial, les cabanes sont plus propres. » Autour des chalets, des parties de hockey s'improvisent, des mascottes déambulent sur la rivière gelée, et la barbe à papa colle sur les habits de neige de bien des enfants présents.

Rémi Mailhot, 34 ans, est de la troisième génération de la famille à gérer la pourvoirie Robert Mailhot, baptisée du nom de son grand-père, le premier en 1938 à exploiter commercialement ce type de pêche sur la rivière. « J'ai été élevé là-dedans, on a toujours fait ça », dit ce chargé de projet, pour qui la pourvoirie est un « hobby ».

La presque totalité des clients de Rémi Mailhot provient de la région de Montréal. Des familles, mais aussi des amis, qui se donnent rendez-vous à mi-chemin entre Montréal et Québec pour passer une journée. Bien entendu, il se boit encore quelques bières dans les chalets, mais l'esprit reste pacifique.

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Rémi Mailhot, 34 ans, est de la troisième génération de la famille à gérer la pourvoirie Robert Mailhot, baptisée du nom de son grand-père, le premier en 1938 à exploiter commercialement ce type de pêche sur la rivière.

Ça se mange ou pas?

Voilà la question qui divise les pêcheurs. « Le goût que les gens n'aiment pas dans ce poisson, c'est la peau », assure Raymond Lefebvre, qui en rapporte des centaines chez lui au terme de sa semaine de pêche. « Si on me donne le choix entre une assiette de poissons des chenaux et une assiette de truite, c'est certain que je choisis le poulamon », dit-il.

Les pêcheurs Hugo et Nathalie Bérard avaient bien l'intention de ramener du poisson à leur père pour qu'il se charge de le cuisiner. Mais ils n'allaient pas le faire eux-mêmes. « Les vieux savent comment cuisiner ça », dit Hugo en s'excusant presque d'utiliser le mot « vieux ».

Entre deux dégustations, Françoise Cossette fait chauffer ses mains au-dessus du barbecue sur lequel elle fait cuire les poissons. Au restaurant Boissons du Roy, dont elle est la présidente, on sert le poisson frit avec des épices, du citron et de la sauce tartare. « Ce matin, on a un monsieur de Granby qui a téléphoné à 8 h 15 pour savoir si on en servait », dit-elle. Les enthousiastes du poulamon existent bel et bien.

Bien des poulamons qui sortent de la rivière Sainte-Anne ne seront pas mangés par ceux-là mêmes qui les ont pêchés. L'Association des pourvoyeurs les remet alors à Moisson Mauricie.

Repères

Il est fortement recommandé de réserver avant de se rendre à Sainte-Anne-de-la-Pérade, particulièrement les fins de semaine. Les tarifs de location sont fixés par l'Association des pourvoyeurs de pêche aux petits poissons des chenaux. La fin de semaine, on devra débourser un minimum de 120 $ pour réserver un chalet de pêche, tandis qu'en semaine, ce montant s'élève à 50 $. La pêche au poulamon se termine le 14 février 2016.

Deux restaurants situés sur la rivière offrent de livrer de la nourriture directement dans les chalets. En remontant vers le village, on pourra également prendre un repas et un café à la boulangerie 4 petits cochons, tenue par Martine Gagnon et Mario Lagacé.

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Un garçon visiblement fier de sa prise.