C'est un endroit hors du temps, protégé par les marées qui le coupent du monde jusqu'à 20 heures par jour. Ne cherchez pas l'épicerie, l'école ou le guichet automatique. Dans l'île Verte, au coeur du Saint-Laurent, les rosiers sauvages, les cormorans et les maisons à lucarnes dominent le paysage. Un bonheur qui se mérite... avec un brin de planification.

Impossible d'imaginer nom plus dramatique que celui du village de l'île Verte. Notre-Dame-des-Sept-Douleurs... cinq mots qui évoquent exactement le contraire de ce qu'on éprouve en découvrant son chemin tranquille, sa forêt et sa vue changeante sur le fleuve. La souffrance, jadis, peut-être. Quand les navires faisaient naufrage au large. Ou quand le déclin de la pêche et la disparition d'une herbe servant au rembourrage ont provoqué l'exode de familles entières.

Aujourd'hui, le plaisir l'emporte haut la main. L'île Verte, c'est un écrin pour vélos et le paradis de la villégiature. Un endroit hors du temps, où seulement 25 personnes vivent à l'année.

Pour y rester, elles font preuve d'un sens du partage inouï, dont profitent aussi les touristes. Voici donc la vraie Notre-Dame, celle «des sept bonheurs». Et il ne serait pas surprenant que vous en trouviez plusieurs autres.

Premier bonheur: les maisons du phare

Ici, le paysage est d'une beauté sauvage. D'immenses rocs, de l'herbe si verte qu'on la croirait colorée, des fleurs, le ciel qui plonge dans l'estuaire. Partout, des cormorans qui volent à fleur d'eau.

Au milieu de ce décor de carte postale s'élève un phare rouge et blanc de 203 ans - le plus ancien du Québec.

Sa tour est flanquée de deux maisons assorties, où vivaient jadis le gardien et son assistant. Depuis 1972, la lanterne tourne sans eux. Ce sont désormais les touristes qui l'admirent. Un organisme à but non lucratif les accueille dans neuf chambres toutes simples et très propres, entièrement rénovées en 2009. Les visiteurs se partagent quatre salles de bains (deux par maison) et deux cuisines. Un délicieux et copieux petit-déjeuner leur est servi chaque matin.

Le phare - qui figure au palmarès des 100 plus importants du monde - offre une vue fabuleuse. Le long de l'escalier, des maquettes, des outils d'époque et des panneaux explicatifs nous font remonter dans le temps.

La cabane du criard voisine offre une autre exposition très bien faite. On y apprend beaucoup sur les naufrages, la vie des gardiens, et les différentes méthodes utilisées pour éclairer ou percer le brouillard.

Les maîtres des lieux sont d'une hospitalité difficile à croire. Faute de pouvoir se libérer pour nous accueillir au quai, Gérald Dionne y avait laissé son camion. Et ce n'était pas un traitement de faveur: le même jour, des touristes français utilisaient son autre voiture.

2801, ch. du Phare (2 km au nord du quai), 418-898-2730, phareileverte.com/auberge/ Tarif: 90$ par nuit plus taxes en occupation double





Deuxième bonheur: le vélo

Malgré le vent qui souffle parfois, vous ne vous épuiserez pas. L'unique chemin de terre qui relit les deux bouts de l'île (celui «d'en haut» et celui «d'en bas») fait 13 km. Et la plupart des cyclistes s'arrêtent sans cesse. Il leur faut bien photographier les maisons à lucarnes, les fumoirs argentés et le fleuve qui se remplit et se vide.

Pour louer un vélo (avec un siège d'enfant ou une girafe), on s'adresse au motel-restaurant L'Entre-deux marées. C'est gratuit pour les occupants du motel, 10$ par jour pour les autres. Si vous réservez quelques jours d'avance, vos montures vous attendront à votre gîte ou sur le quai.

Motel-restaurant L'Entre-deux marées, 4603, ch. de l'île (2,8 km à l'ouest du quai) 418-898-2199 ou 418-860-7425.

Troisième bonheur: le côté nord

C'est la rive sauvage de l'île et c'est à pied qu'on l'explore, en avançant sur la grève. De la pointe ouest, on aperçoit déjà le phare qui se profile, 9 km plus loin. On le rejoint en 3 heures, seuls avec les phoques, les cerfs, les renards et les baleines qui soufflent au large.

Une fois au phare (qu'on atteint aussi en traversant l'île sur sa largeur, à partir du quai), il suffit de continuer sa route pour dépasser un gros cap rocheux et trouver des anses de sable, où les moins frileux oseront peut-être se baigner. Une balade de 30 ou 40 minutes.

De l'autre côté du fleuve, les montagnes de Charlevoix s'étendent jusqu'à Tadoussac. Couchers de soleil spectaculaires en vue.

Photo Jean-Sébastien Basque, collaboration spéciale

Quatrième bonheur: le restaurant L'Échouerie

Sa salle à manger bleue est minuscule: 12 places. La facture l'est tout autant: 25$ par adulte (ou 8$ par enfant) pour six services tous plus délectables les uns que les autres. Canapés de langouste, d'esturgeon et de burgaux; potage du jardin; quiche aux crevettes; salade de melon, carottes, oranges et canneberges; morue; salade verte et gâteau aux bleuets.

Avant même de s'attabler, on se doutait déjà qu'il ne s'agissait pas d'un endroit ordinaire. Au téléphone, Michelle Dionne s'enquiert des préférences alimentaires de chaque convive. Elle s'inspire ensuite du terroir et de ses voyages pour concocter ses recettes.

Son souriant conjoint, Denis Cusson, assure le service en arborant de drôles de chapeaux.

Le restaurant est ouvert à l'année, le matin, le midi et le soir. On apporte son vin et il faut impérativement réserver.

7302, ch. de l'île (7 km à l'ouest du quai), 418-898-4065 pages.globetrotter.net/cafe.echouerie

Photo Jean-Sébastien Basque, collaboration spéciale

Le restaurant L'Échouerie

Cinquième bonheur: poissonnerie La bonne bouffe

Colette Caron est gardienne du passé. Depuis huit ans, sa fumée chaude cuit très lentement l'esturgeon, le hareng, le maquereau et le saumon. Une tradition familiale qui remonte au moins jusqu'à son arrière-grand-père, dont le vieux fumoir de bois trône toujours aux côtés de ses remplaçants de métal.

Le père de Colette Caron était le dernier pêcheur «à fascines» de l'île. Comme d'autres insulaires, il plantait une série de pieux dans le fleuve, pour former une palissade se terminant par un piège à poissons. À marée basse, il ne restait plus qu'à les cueillir au fond.

Sa fille préfère cuisiner des coquilles Saint-Jacques, des poissons marinés ou en rillettes, du crabe, de la mousse de crevettes, de la confiture maison et des tartes aux petits fruits qu'elle cueille dans l'île.

L'été, on trouvera de quoi faire un véritable festin sur ses tables à pique-nique, les yeux rivés sur le fleuve et les oreilles pleines du bêlement des moutons voisins.

4902, ch. de l'île (3 km à l'ouest du quai), 418-898-3325 www.gitelabonnebouffe.com/poissonnerie.html

Sixième bonheur: le musée du Squelette

Depuis qu'il a déterré en douce le chat de sa tante, vers l'âge de 12 ans, Pierre-Henry Fontaine n'a jamais cessé de collectionner les squelettes. Le retraité court dépecer les baleines échouées. Récupère les animaux des trappeurs. Voyage jusqu'au Yukon à la recherche de carcasses. Lorsqu'il enseignait la biologie en Côte d'Ivoire, ses élèves lui ont permis de repérer - et rapporter - des os d'éléphant, de lion ou de tigre. «Avant, on me fouillait des pieds à la tête aux douanes, maintenant, on me laisse tranquille», raconte-t-il.

Aujourd'hui, les autorités savent que sa quête n'a rien de morbide. La collection de Pierre-Henry Fontaine trône dans un ancien hangar transformé en musée. Il y a entassé 400 squelettes et crânes - d'autruche, de crocodiles, de singe, etc. Le plus long fait plus de 21 mètres (celui d'un rorqual). Une mine d'or pour détectives. Certains os révèlent ce que l'animal mangeait, d'autres, comment il se déplaçait.

Parce qu'il ne s'est jamais lassé d'enseigner, M. Fontaine garde souvent les visiteurs plus de trois heures. Et si vous êtes comme beaucoup d'autres, apparemment, vous en redemanderez.

3404, ch. de l'île (2 km à l'ouest du quai), 418-898-5215 pierrehenry@symptico.ca, www.ileverte.net/osteologie.html

Septième bonheur: la traversée de la bouette

Vous serez sales, mais heureux. Une fois par an, l'été, près de 500 personnes profitent d'une marée extrêmement basse pour rejoindre l'île Verte à pied (un trajet de 4 km, qui sera bien vite recouvert par 4 m d'eau). L'idée: imiter les insulaires qui, avant l'arrivée du traversier, n'avaient pas d'autre option pour faire traverser leurs animaux, voitures et marchandises.

Première consigne: lacez solidement vos souliers, sinon, la vase va les aspirer. L'eau atteint d'abord les chevilles, puis les genoux des marcheurs. Ils doivent piétiner les herbes salées, escalader les roches de l'île ronde, braver l'eau froide du chenal, les algues et le fond vaseux du fleuve. Sur le quai de l'île, des poubelles remplies d'eau les attendent, parce qu'il faut bien se «débouetter».

Bonheur alternatif pour ceux qui craignent moins le froid que la saleté, en février, on traverse le pont de glace en groupe, à la lueur des flambeaux. Le tout se solde par un concours de desserts.

www.labouette.com 418-898-3542

Pour en savoir plus, voir le nouveau site web de l'île: www.ileverte-tourisme.com

Pour accéder au bonheur

L'hiver, on rejoint l'île Verte en motoneige. Lorsque la glace n'est pas assez solide, on s'y rend en hélicoptère. Le reste de l'année, on vogue le long d'une rangée d'arbres plantés dans l'eau.

Traversier La Richardière

Selon les marées, il fait le voyage de deux à cinq fois par jour entre le mois de mai et la mi-novembre. Mieux vaut réserver. L'horaire est disponible sur le web: www.inter-rives.qc.ca.

Bateau-taxi de Jacques Fraser

Sa plage de service est plus large: il peut entreprendre le trajet au moins une demi-heure plus tôt ou plus tard que le traversier. Également facteur, aubergiste et bon Samaritain notoire, le capitaine Jacques Fraser a l'habitude des touristes en vélo. Vous ferez peut-être le voyage à côté d'un lavabo ou d'une corde de bois. (46, ch. Principal, Isle-Verte - le nom du village situé en face de l'île Verte - 418-898-2199, www.ileverte.net/jacques)

L'île Verte en chiffres

100 demeures

25 habitants à l'année

150 insulaires intermittents

10 000 visiteurs par été

3 centres d'interprétation > 1 auberge, 1 motel, 4 gîtes et 1 maison de chambres > 20 maisons louées à la semaine > 1 petit camping rustique de 12 emplacements > 2 restaurants, 1 traiteur-comptoir et 1 poissonnerie > 1 service de location de vélos > 1 service de taxi

Photo Jean-Sébastien Basque, collaboration spéciale

Poissonnerie La Bonne Bouffe