«Vanessa, as-tu oublié la colle chaude?

- Édith, est-ce qu'on répète une dernière fois notre chorégraphie avant de partir?

- Annie, connais-tu ça, les costumes de pingouin? Peux-tu venir attacher mon noeud papillon?»

Branle-bas de combat dans la maison de Marie-Claude Blouin, samedi soir dernier. Marie-Pierre, Marylin, Annie et les autres vont faire la tournée des maisons de l'Isle-aux-Grues pour montrer leur nouveau costume de mi-carême.

Le salon s'est transformé en salle d'essayage, où les filles virevoltent sous l'oeil inquiet de Gizmo et Mini, les deux chiens de la maison. Pour éloigner les indiscrets, on a collé de grands sacs-poubelles aux fenêtres.

On ne veut pas éventer le secret. Personne (ou presque) n'est au courant du thème de cette année.

Photo: Stéphane Ouellette, collaboration spéciale

La mi-carême, une tradition qui se perpétue de génération en génération.

L'année dernière, elles étaient déguisées en boules disco. Cette fois, elles ont confectionné six gigantesques costumes de gâteaux de noces avec de la styromousse et du satin blanc. Elles ont recruté une copine pour jouer la mariée.

Martin et Jean-Philippe ont aussi accepté d'incarner l'époux et le curé. Pour passer incognito, tout ce beau monde porte masque et perruque.À l'Isle-aux-Grues, la mi-carême, c'est du sérieux.

Les six filles travaillent à leurs costumes depuis le mois de juin dernier.

Ensemble, elles ont passé plus de 150 heures à coudre, à coller, à épingler. Dès que l'une d'entre elles passait par Québec, elle revenait chargée de rubans, de tulle, de perles.

L'idée de louer bêtement un costume (sacrilège!) ne serait venue à personne.

«L'objectif est de ne pas se faire reconnaître, mais aussi de se dépasser d'année en année», explique Édith Rousseau dans son gâteau décoré de jaune.

 

 

Photo: Stéphane Ouellette, collaboration spéciale

De la confection à l'habillage, les préparatifs de la mi-carême se font en groupe plus que sélect, loin des regards indiscrets.

Ne pas se faire démasquer dans une île de 150 personnes, c'est tout un défi.

Car ceux qui accueillent les mi-carêmes (on nomme ainsi les costumés) ont l'oeil aiguisé.Chez Réjane Vézina, tout est prêt.

La cuisine et la salle à manger ont été vidées de leurs meubles, sauf quelques chaises alignées au mur et un lecteur de CD, destiné à faire jouer la musique apportée par chaque groupe. Sur le sol, un tapis recouvre le plancher de bois.

Mme Vézina garde sa caméra vidéo à portée de main et malheur à quiconque lui obstruerait la vue. «Les mi-carêmes commencent toujours par passer ici, car ma maison est la première à la pointe de l'île, dit-elle. Il y a des soirs où on peut accueillir 50 personnes! J'ai filmé tous ceux qui sont passés depuis 12 ans. Un précieux trésor.»

Des dragons rouge et or entrent en dansant dans la cuisine sur une musique pop tendance japonaise. Leurs têtes sont énormes.

Faites de barils de plastique coupés en deux, il a fallu une remorque pour les transporter!

 

 

Photo: Stéphane Ouellette, collaboration spéciale

Pour réaliser ce costume de gâteau de noce, tulle, paillettes et rubans on été importés dans l'île dans le plus grand secret.

Dans la cuisine, les commentaires fusent. «André, t'aurait dû changer tes running shoes, je t'ai reconnu!» «Lui, c'est Hubert. Pourquoi? Je sais comment il danse; c'est mon beau-frère!» «Je te dis que ça commence à être chic pas mal, la mi-carême!»

Peu d'endroits célèbrent la mi-carême, au Québec: Fatima, aux Îles-de-la-Madeleine, et Natashquan... À l'Isle-aux-Grues, la fête a presque disparu dans les années 70, avant de trouver un souffle nouveau au début des années 80.

«Je suis née dans l'île, ma mère aussi, dit Édith Rousseau. La mi-carême fait partie de notre patrimoine; nos greniers sont remplis de costumes qu'on garde précieusement. On fête pour casser la monotonie de l'hiver. Tous les enfants se disent: «Moi aussi, un jour, je serai assez grand pour courir la mi-carême.»»

Car il ne faut pas confondre mi-carême et Halloween. La première est une affaire de grands, qui fêtent une semaine durant, parfois jusqu'à l'aube. Le samedi soir, la fête atteint son apogée. C'est le jour où le plus de gens étrennent leurs créations.

La tournée des costumés se termine au centre communautaire de la Volière. Partis en tournée vers 21h, les groupes ont commencé à arriver vers minuit cette année. Et le bar, tenu par Anne, n'a pas dérougi.

Photo: Stéphane Ouellette, collaboration spéciale

Après la tournée de l'île, les masques tombent. Et les Gruois commencent déjà à songer à leurs costumes de l'année suivante.

Si les insulaires prennent plaisir à essayer de démasquer leurs voisins et amis, pour les touristes, le plaisir est ailleurs. On ne peut pas s'inviter dans la cuisine d'un particulier! Pour profiter du spectacle et de l'effervescence, l'idéal est de souper à l'auberge des Dunes avant de migrer vers la Volière. Les mi-carêmes y passent en fin de parcours. Et entre chaque groupe, le plancher se transforme en piste de danse.Couche-tôt s'abstenir.

REPÈRES

Comment s'y rendre?

En hiver, l'accès à l'île se fait uniquement par avion. Air Montmagny offre plusieurs vols Montmagny-Isle-aux-Grues chaque jour. Prix: 21,75$ par personne, minimum 4 personnes. Le traversier devrait reprendre du service sous peu. En bateau, le passage est gratuit, mais l'horaire dépend des marées. Plusieurs visiteurs choisissent une formule hybride: aller en avion, retour en bateau (ou vice versa). Air Montmagny offre un service de navette entre le quai et l'aéroport pour récupérer la voiture au retour. Le transporteur propose aussi des survols commentés de l'archipel et des côtes. www.airmontmagny.com www.traversiers.gouv.qc.ca

Où loger?

Une dizaine de gîtes et d'auberges accueillent les visiteurs dans l'île. L'auberge Les Maisons du Grand Héron est l'une des rares du côté sud de l'île, à quelques pas du quai. On y offre quatre chambres et une yourte. Aussi, service de repas, boutique et tours guidés. www.maisonsdugrandheron.com

Où trouver le fromage de l'Isle-aux-Grues?

En basse saison, la fromagerie est fermée le week-end. Pour acheter le Riopelle ou le Mi-Carême, il faut aller au dépanneur Chez Mike. L'auberge Les Maisons du Grand Héron est aussi dépositaire, en plus d'offrir des dégustations de fromages, de pains maison et de cidre. Petit conseil: faites le plein d'argent comptant avant de traverser dans l'île. On n'y trouve aucun guichet automatique. www.fromagesileauxgrues.com

À savoir pour vivre la mi-carême

Les dates de la mi-carême changent chaque année. La fête se dans la deuxième semaine pleine de mars. Les auberges affichent souvent complet; certains réservent des mois à l'avance. Infos: www.isle-aux-grues.com

Photo: Stéphane Ouellette, collaboration spéciale

Perruque, chapeau, masque décoré...Malgré tout les subterfuges, les mi-carêmes ne restent pas anonymes très longtemps. Normal dans une île qui compte 150 habitants.