Samedi matin, 10h. À la Station de biologie des Laurentides, à Saint-Hippolyte, près de Saint-Jérôme, une cinquantaine de personnes, armées d'un petit couteau et d'un grand panier en osier, participent à une chasse au trésor hors de l'ordinaire.

Ils cherchent au pied des arbres, à ras de terre ou carrément sur les branches, des polypores, des bolets, des amanites, des chanterelles et j'en passe.

Bref, ils veulent faire le plein de ces petites merveilles de la nature qu'on appelle les champignons.

Lors de cette excursion organisée par le Cercle des mycologues de Montréal (CMM), les participants, des jeunes, des moins jeunes et des retraités, effectuent une battue dans la forêt, scrutant la moindre parcelle de sol.

Cette tâche terminée, ils se réunissent à l'heure du dîner pour étaler, sur une grande table, leurs trophées de toutes les couleurs, que les experts classent par famille.

Commencent alors de vives discussions entre mycologues sur les caractéristiques de chaque espèce. Est-ce un Leccinum piceinum ou un Leccinum aurantiacum?

Pendant ce temps, les néophytes - dont je fais partie - n'en reviennent pas de la richesse du règne des champignons. Car pour différencier une espèce d'une autre, il faut un bagage de connaissances phénoménal. Qui plus est, il faut baragouiner le latin!

Environ 3000 espèces de champignons poussent au Québec. Imaginez! Un seul petit détail, comme la forme du pied, permet de distinguer deux champignons en apparence identiques.

C'est si complexe que, parfois, même les experts ne s'entendent pas sur la désignation d'une espèce. Des joutes intellectuelles s'ensuivent, chacun faisant valoir ses arguments.

«Et quand on ne réussit pas à trancher, on garde le champignon pour tenter de l'identifier en laboratoire», raconte Yvon Gagné, mycologue avancé qui consacre tous les week-ends de l'été, dit-il, à la cueillette de champignons!

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Une bonne saison

Cette année, les mycologues sont fébriles. En septembre, le gros mois de l'année pour la cueillette, les champignons pourraient être abondants, car l'humidité favorise leur prolifération. Ce qui devrait, encore une fois, alimenter le boom mycologique que connaît présentement la Belle Province, boom favorisé par le vieillissement de la population et la mode du plein air.

«Chez les débutants, la première raison pour s'intéresser aux champignons, c'est la gastronomie. On veut cueillir des chanterelles et des morilles que l'on va cuisiner à la maison. Mais, rapidement, l'intérêt des gens dépasse la mycophagie (la dégustation). Ils se prennent au jeu de l'identification», souligne Jean-Pierre Dion, directeur du Cercle des mycologues de Montréal, qui constate un engouement pour la cueillette de champignons depuis une dizaine d'années.

«Le summum pour le mycologue amateur, c'est de mettre la main sur une espèce rare. C'est alors l'extase!» assure Ginette Francis, responsable des activités au CMM et passionnée de mycologie depuis une dizaine d'années. Mais attention, c'est toutefois un loisir qui exige beaucoup de temps.

«Pour réussir à différencier des espèces, ça prend des heures et des heures d'études et de recherches», dit-elle, juste avant de cueillir, ô bonheur! une amanite fauve.

Pour cette raison, personne ne devrait manger les fruits de sa récolte sans posséder une solide expérience en la matière, car de nombreux champignons sont toxiques, voire mortels. D'où l'importance des clubs comme le CMM, qui offrent cours d'initiation, des excursions et des ateliers où les débutants côtoient des experts pour assouvir leur faim de connaissances.

«Grâce aux formations et à la publication de multiples ouvrages grand public sur le sujet, il n'a jamais été aussi facile de s'intéresser aux champignons. Le Québec possède maintenant une grande expertise en la matière», dit M. Dion.

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Ginette Francis vient de récolter ce qui semble être une amanite fauve.

De mycophobe à mycofou

Tout un changement, car le Québec a longtemps été une terre de mycophobes. Aux yeux des colons, puis des Canadiens français, tous les champignons étaient considérés vénéneux.

L'Église les baptisait d'ailleurs le «pain du diable», s'assurant ainsi que ses ouailles n'iraient pas goûter à ce «fruit défendu». Délicieux ou toxiques, ils étaient tous mis dans le même panier.

Les travaux de René Pomerleau, scientifique de grande renommée qui a fondé le CMM en 1950 et que l'on considère comme le père de la mycologie au Québec, ont fait évoluer les choses.

À sa retraite, le mycologue a publié Flore des champignons au Québec (1980), qui est devenu un ouvrage de référence. Ce livre a déclenché l'intérêt des Québécois pour les champignons sauvages.

Sa persévérance a porté ses fruits. Près de 60 ans plus tard, le CMM forme le plus important club de mycologie en Amérique du Nord, avec près de 1000 membres. Son dynamisme est reconnu partout dans le monde.

Produit en 2002 par le CMM, le cédérom Mille et un champignons connaît un tel rayonnement que même les Américains se le procurent, bien qu'il n'existe pas de version anglaise!

Dans l'ensemble du Québec, il existe huit clubs de mycologie et un neuvième sera officiellement constitué sous peu.

À titre de comparaison, l'État de New York compte le même nombre de clubs, mais pour une population trois fois plus grande (20 millions d'habitants).

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Après la récolte, les champignons sont étalés sur une grande table et les experts les classent par famille. La discussion va bon train. C'est le moment pour le néophytes de parfaire leurs connaissance.

Une aide... précieuse!

Paradoxalement, les cas d'intoxication qui font les manchettes aident à la popularité de ce passe-temps.

«Lorsqu'un cas d'empoisonnement survient, on perçoit une recrudescence des inscriptions dans nos cours. Les gens prennent alors conscience qu'il faut une bonne dose de connaissances pour éviter les erreurs», dit M. Dion.

En plus des clubs, plusieurs auberges organisent maintenant des week-ends à saveur mycologique, basés sur une activité de récolte suivie d'une dégustation. Une façon agréable de goûter à ce loisir.

Amateurs de champignons ou simples curieux, tout le monde est invité à l'exposition annuelle du Cercle des mycologues de Montréal, le 20 septembre prochain, au Jardin botanique de Montréal.

Ce sera l'occasion de rencontrer et de discuter avec des passionnés, d'admirer la variété des espèces qui poussent au Québec et de faire identifier celles qui poussent dans votre jardin.

Enveloppez-les dans du papier ciré, s'il vous plaît, et non dans un sac de plastique!

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Différentes variétés de champignons

Quelques activités

> L'Auberge des Appalaches propose un week-end à saveur mycologique les 19 et 20 septembre, comprenant une formation et un souper gastronomique.

Infos: www.auberge-appalaches.com

> Situé dans les Cantons-de-l'Est, le centre d'activités du mont Ham organise régulièrement des formations de mycologie ainsi que des excursions guidées de cueillette.

Infos: www.montham.qc.ca.

> L'exposition annuelle du Cercle des mycologues de Montréal se tiendra le 20 septembre au Jardin botanique.

Infos: www.mycomontreal.qc.ca

> La station de montagne Au Diable Vert, à Sutton, donnera un atelier de mycologie le 12 septembre.

Coût: 30$ par personne.

Infos: www.audiablevert.qc.ca

> En Haute-Mauricie, la Seigneurie du Triton organise des sorties. Pendant la période de la chasse, la tendance est de ramener gibier et champignons en même temps et de cuisiner ensuite. uel délice!

Infos: www.seigneuriedutriton.com

Les ouvrages indispensables

> Mille et un champignons du Québec, un cédérom produit par le Cercle des mycologues de Montréal, en collaboration avec le Cercle des mycologues de Sept-Îles et le Cercle des mycologues amateurs de Québec: description de plus de 1000 espèces de champignons, 1400 photos, où et quand les cueillir, recettes et clés d'identification.

> Les champignons sauvages du Québec, de Matthieu Sicard et Yves Lamoureux, conseiller scientifique du Cercle des mycologues de Montréal. Fides, 2005, 366 pages.

> Champignons comestibles du Québec, de Jean Després (également membre du Cercle des mycologues de Montréal). Éditions Michel Quintin, 2008, 208 pages.

> Champignons communs du Québec et de l'est du Canada, de Raymond McNeil (biologiste et membre du Cercle des mycologues de Montréal). Éditions Michel Quintin, 2007, 431 pages.