Je n'avais jamais vu tant d'espace dans si peu de géographie. Ils l'appellent la province des ciels vivants et en quittant Regina vers l'ouest, il n'y a que ça: des ciels sans limite.

Pas la moindre butte à l'horizon, pas de cours d'eau pour casser la rectitude des routes. Chaque arbre ici est né de la volonté humaine. C'est un pays sans forêt, avec rien pour se cramponner dans l'horizon.

La Saskatchewan n'a aucune excuse de terrain pour justifier son existence. Ni chaîne de montagnes, ni canyon, ni fleuve pour la définir ou la circonscrire. C'est un rectangle dessiné sur la carte par le caprice des géographes et des politiciens.

C'était en septembre et les blés étaient à leur plus haut. Partout on voyait les moissonneuses-batteuses raser le peu de blondeur qui s'opposait au ciel. Cela faisait des nuages de poussière dans les champs.

En descendant plus au sud, on arrive au pays des pompes à pétrole. Elles sont plantées là au milieu de nulle part, on dirait à l'improviste, comme si elles y avaient poussé. Tout autour, des troupeaux de vaches font leur travail de vaches, qui est de décorer les champs le long des routes trop droites. On leur donne plein de foin pour ça.

À Weyburn, il y a la petite église blanche en déclin de bois de cet ancien pasteur devenu premier ministre, Tommy Douglas. Il est le père de l'assurance maladie, certes, mais aussi de cette version canadienne du socialisme qui est la vraie frontière entre le Montana et la Saskatchewan.

Pour un peu, on pourrait dire que dans ce bled absolument dépourvu de pittoresque et de spectaculaire, le Canada moderne s'est inventé.

On descend, on descend encore, toujours en ligne droite ou en angle de 45 degrés. Cette Saskatchewan-là ne connaît pas la rondeur.

D'Estevan, je m'en vais vers l'ouest. Me voici juste au nord du Dakota-du-Nord. Bientôt, il n'y a plus ni ferme, ni vaches, ni pompe. Mais des ciels en enfilade et des pick-ups qu'on voit venir sur 10 km.

Soudain, une cassure dans la plaine. Il y a des vallées, des hauteurs, des courbes... C'est le début des Big Muddy Badlands. On est un peu sur la lune et un peu dans un western. Ici, dans des grottes de pays de nulle part, les bandits du Far West venaient trouver refuge, c'est du moins ce qu'on nous dit dans les dépliants touristiques.

Ce que moi j'en dis, c'est que dans ce petit carré au sud de Regina, il y a déjà deux ou trois Saskatchewan qui ne ressemblent à rien ni personne aux alentours. Les témoins sont aussi rares que la géographie.