Nous venions de déboucher à vélo du Boisé Grosbois, où des plantes rares, comme l'arisème dragon et la claytonie de Virginie, s'épanouissent à l'ombre des frênes rouges et des érables argentés, lorsqu'une biche a pointé son museau au-dessus des hautes herbes.

«L'an dernier, on avait dénombré un peu plus de 200 cerfs de Virginie dans le parc; mais le chenal a complètement gelé cet hiver et une partie du cheptel a traversé sur les glaces vers Boucherville», a expliqué Rachel, la garde-parc qui m'accompagnait. «Au dernier recensement, il n'y en avait plus que 127.»

 

Des chevreuils au coeur de la plus grande agglomération urbaine du Québec? Eh oui! Et des castors, des visons, des renards, des rats musqués... Il suffit d'emprunter le sentier pédestre de l'île aux Raisins pour surprendre les cormorans à aigrettes, les sternes, les grands hérons et la bonne dizaine d'espèces de canards qui cherchent pitance dans les marais qui festonnent le chenal du Courant.

Parti du centre-ville de Montréal, il ne m'a fallu que 15 minutes de voiture, en ce vendredi matin, pour arriver à l'entrée du parc national des Îles-de-Boucherville. J'ai passé la matinée en kayak, en compagnie du responsable des activités nautiques, David Desnoyers. Il m'a d'abord entraîné au fond du chenal du Bras Nord, où on n'entend d'autres bruits que les pleurs des goélands et le clapotement de l'eau sur nos coques. «Mais ne te fais pas d'illusions: demain c'est samedi et il y aura 200 bateaux de plaisance dans le chenal», a indiqué M. Desnoyers.

S'il n'en tenait qu'à lui, l'accès aux chenaux qui s'insinuent entre les îles serait interdit à toutes les embarcations à moteur. Mais les îles de Boucherville font partie d'un parc provincial, alors que le fleuve et ses excroissances relèvent du gouvernement fédéral...

David m'a ramené vers le bras sud du fleuve, où nous avons longé la rive sud de l'île de la Commune, qui fait face au vieux village de Boucherville. Nous avons remonté le chenal de la Passe et pagayé jusqu'à la pointe de l'île Dufault qui, comme ses voisines, l'île Lafontaine et l'île Montbrun, ne fait pas partie du parc. Là, nous nous sommes laissé bercer par les vagues soulevées par le sillage d'un gros porte-conteneurs, en regardant les installations portuaires et les raffineries de Montréal-Est, avant de rentrer par le chenal du Courant.

Du kayak au vélo

L'après-midi, j'ai enfourché un vélo pour pédaler le long des sentiers qui font le tour de l'île de la Commune et de l'île Grosbois, où nous avons fait halte au site archéologique Boucher-de-Grosbois.

Dans cette petite clairière, on a reconstitué un campement iroquois: maison longue, fumoir, séchoir, tendeur à peaux... Les ancêtres des Iroquois fréquentaient les îles depuis 2400 ans. Quelques familles venaient y passer l'été pour pêcher.

Non loin de là, le Relais Grosbois, un gros bâtiment où les cyclistes peuvent se rafraîchir et se restaurer, se dresse près de l'embarcadère où accoste le petit traversier qui fait la navette depuis la marina de Boucherville. Ici, au début du siècle, les Montréalais arrivaient par milliers pour s'amuser sur les manèges du parc King-Edward, qui était alors le plus grand parc d'attractions du Canada. Il a été fermé en 1929, après que l'effondrement d'un manège eut fait plusieurs victimes, ce qui a déclenché une tempête médiatique.

En repartant, nous avons croisé un tracteur qui tirait un tombereau de maïs, car il reste deux exploitations agricoles dans les îles. Les familles Savaria et Van Welzen, qui y cultivent le maïs et le soja, détiennent des baux jusqu'en 2016, mais elles n'habitent plus dans le parc depuis des lustres, contrairement aux neuf familles dont les propriétés sont enclavées dans l'autre grand parc national au sud de l'agglomération urbaine.

Le mont Saint-Bruno

Dans le parc du Mont-Saint-Bruno, en effet, les propriétés cossues sont disposées autour des deux plus grands lacs du territoire, qui en compte cinq: le lac Seigneurial et le lac du Moulin.

À la fin du XIXe siècle, Edson Loy Pease, fondateur de la Banque Royale, a racheté la partie est du territoire occupé par le parc actuel et en a revendu des parcelles à quelques richissimes amis (dont la famille Birks), qui y ont fait construire de superbes résidences d'été. C'est en se fondant sur des droits acquis que les propriétaires qui continuent à y vivre ont évité l'expropriation lors de la création du parc national, en 1985.

L'autre partie du territoire occupé par le parc appartenait aux frères de Saint-Gabriel, qui l'ont marqué d'une forte empreinte. Ils l'ont racheté en 1910, pour y établir une ferme destinée à subvenir aux besoins de la communauté et y ont planté près de 6000 pommiers.

Au coeur d'un de ces vergers (aujourd'hui géré par l'Institut de recherche et de développement agroalimentaire), les frères ont établi un cimetière où reposent tous les membres de la communauté décédés entre 1888 et 1974.

En 1924, ils ont fait construire un collège, le juvénat. Sous leur direction, les élèves ont creusé dans un monticule et consolidé une réplique de la grotte des apparitions, à Lourdes, où l'on célébrait la messe. On leur doit aussi l'arboretum, où l'on retrouve plusieurs espèces exotiques comme le philodendron de l'Amour, le ginkgo biloba et l'if du Japon.

Comme le parc des Îles-de-Boucherville, celui du Mont-Saint-Bruno héberge une population de cerfs. Alors que je cheminais sur le sentier qui longe la pommeraie, un des vergers laissés à l'abandon, une biche accompagnée de ses deux faons m'a à peine prêté attention. Par contre, le territoire du parc est plus accidenté que celui des îles, surtout les parties ouest et nord, qui sont couvertes d'une forêt mature dominée par l'érable à carrier qui, avant la déforestation, était l'espèce la plus répandue au Québec.

Ici, on n'est qu'à 20 kilomètres des ponts de la Rive-Sud. Mais, tout comme dans le parc des Îles-de- Boucherville, on a souvent l'impression d'évoluer à des centaines de kilomètres de l'animation urbaine.

 

Repères

> Y aller

Parc des Îles-de-Boucherville: en venant du nord, par l'autoroute 25 et le pont-tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine. Prendre la sortie de l'île Charron (la sortie 1) et suivre les indications. En venant de la Rive-Sud par la route 132, prendre la direction de Montréal, en croisant l'autoroute 20 à la hauteur du pont-tunnel, et sortir à l'île Charron. Parc national du Mont-Saint-Bruno: prendre l'autoroute 20 en direction de Québec puis l'autoroute 30 vers Valleyfield, et emprunter la sortie 121 pour Saint-Bruno. La direction du parc, dont l'entrée se trouve sur le rang des 25, est bien indiquée par des panneaux de signalisation.

> À faire

Dans le parc des Îles-de-Boucherville (450-928-5088): du kayak et du vélo. Le réseau de sentiers cyclable (sur gravier concassé) s'étire sur 27 kilomètres. On peut louer des kayaks au Centre de découverte et de services (26,58 $ pour un bloc de trois heures et 38,10 $ pour la journée) jusqu'au 13 octobre, du vendredi au lundi. Les bacs à câble, qui permettent de passer d'une île à l'autre, fonctionnent jusqu'au 26 octobre et reprennent du service en mai. Quatre petits sentiers de randonnée sont également aménagés. Le plus long fait 4 kilomètres. Mais les piétons ont également accès aux sentiers cyclables. Dans le parc du Mont-Saint-Bruno (450-653-7544). Six sentiers de randonnée, dont deux - le sentier des Lacs et le sentier Montérégien - d'une longueur de 8,8 kilomètres chacun, en terrain relativement accidenté.

> Activités de découverte

Îles-de-Boucherville: les 11, 12 et 13 octobre, de 9 h à 10 h 15, conférence Chouette! Il y a des hiboux! De 13 h 30 à 14 h 45 et de 15 h 30 à 16 h 45, conférence Sur les traces du cerf de Virginie. Mont-Saint-Bruno: tous les dimanches d'octobre, de 13 h 30 à 14 h 45, conférences données par un naturaliste au Centre de services. Thèmes: la forêt en couleurs (12 et 19 octobre), la naissance du Mont-Saint-Bruno (26 octobre). Tous les dimanches de novembre, de 10 h à 11 h 15: les nids d'oiseaux (réservations obligatoire).

> Un restaurant à proximité

Le Resto Sens de l'hôtel Mortagne, à Boucherville (sortie 93 de l'autoroute 20). Dans un décor improbable de centres commerciaux et d'autoroutes, ce restaurant, situé à cinq minutes de voiture du parc des Îles-de-Boucherville et à 15 minutes de celui du Mont-Saint-Bruno, est une des meilleures tables de la Rive-Sud. www.hotelmortagne.com

> Un hôtel dans les îles

L'hôtel Gouverneur de l'île Charron. L'établissement accueille surtout une clientèle d'affaires (75 % des nuitées), mais bien des gens le choisissent pour célébrer des noces et organiser des réceptions. C'est qu'il est blotti contre un grand bois bordé par le fleuve et le parc. Sur la terrasse arrière, on a l'impression d'être dans une forêt. www.gouverneur.com