Des milliers de plages privées italiennes ont gardé vendredi matin leurs parasols fermés pour protester symboliquement contre une nouvelle directive européenne qui pourrait, selon les gérants d'établissements balnéaires, les contraindre à fermer.

Les 30 000 plages privées couvrant environ un quart du littoral italien, qui vont du simple alignement de parasols au véritable centre de loisirs avec piscine, restaurant et discothèque, sont en rébellion contre une nouvelle réglementation européenne entrant en vigueur en 2016.

À partir de cette date, les licences donnant en concession les plages publiques à des personnes privées devront être mises aux enchères dans le cadre d'une procédure transparente. Mais les professionnels du secteur estiment que cela pourrait bloquer les investissements et mettre au chômage un nombre important des 600 000 personnes travaillant dans ce secteur.

Dans le système actuel, que certains jugent propice à la corruption, l'État accorde des licences de six ans sans enchères avec renouvellement automatique.

«Il ne s'agit pas de mettre aux enchères les plages, mais les sociétés qui les gèrent», affirme Fabrizio Fumagalli, directeur de l'établissement Med à Ostie près de Rome, doté d'un bar-restaurant et de quelques dizaines de parasols.

«Tout ce que vous voyez ici, je l'ai construit moi-même sur plusieurs années au prix de beaucoup de sacrifices. Ce n'est pas comme si je pouvais tout remballer et m'installer ailleurs», dénonce-t-il.

Son inquiétude est d'autant plus grande que la récession en Italie se fait sentir jusque sur les plages: le chiffre d'affaires de son bar-restaurant a chuté de 50% et la fréquentation de son établissement balnéaire a baissé de 25%.

«L'Europe ne devrait pas s'en mêler»

L'accès à la plage Med coûte 8 euros en semaine et 12 euros le week-end, soit le tarif moyen pratiqué à Ostie, dont les plages, presque toutes privatisées, sont les plus proches de Rome.

Les établissements balnéaires affirment qu'ils aident à maintenir propres et accueillants de larges pans de côtes que les autorités locales seraient incapables d'entretenir, tandis que leurs adversaires dénoncent la privatisation rampante de certains des plus beaux lieux naturels d'Italie.

«Bien sûr, aujourd'hui c'est un peu ennuyeux que les parasols restent fermés, car le soleil tape vraiment fort. Mais je suis d'accord avec leur mouvement de protestation», témoigne Sergio Falcione, 72 ans, en clignant des yeux sur sa chaise longue.

«L'Europe ne devrait pas s'en mêler», commente, lapidaire, ce conducteur de tram à la retraite qui vient depuis plus de trente sur la même plage.

«Que ferions-nous sans plages privées? Il n'y aurait pas de bar, pas de toilettes, pas d'eau potable. Ce serait retourner 40 ans en arrière quand les gens venaient à la plage et mangeaient des pâtes. Ça ne me plaît pas du tout», s'emporte-t-il.

«La plage publique est tellement sale», ajoute-t-il en montrant du doigt quelques tentes de fortune montées par des sans-abris vivant au bord de la mer.

Maria, une habitante d'Ostie de 79 ans qui préfère rester anonyme, ne partage pas son opinion sur les établissements privés: «Ils coûtent un bras! Les plages privées sont jolies mais elles ont pris le dessus. Elles devraient supprimer l'entrée payante et faire payer seulement les services en plus».

Pour Fabrizio Fumagalli, qui craint que les enchères ne deviennent la cible du crime organisé et de multinationales anonymes, ces établissements font désormais partie de la tradition italienne.

«Aucun autre pays au monde ne fournit ce type de services! Ce n'est pas seulement pour les riches mais aussi pour les gens normaux. C'est une tradition, comme la pizza napolitaine au feu de bois. Nous devrions la défendre», conclut-il.