Le GR20. Une randonnée aussi mythique que difficile. On dit que la moitié de ceux qui l'entreprennent abandonnent avant la fin. Les autres traverseront la Corse en son coeur, de bout en bout, à travers cols et plateaux et par 180 km d'une nature à la fois belle et cruelle. On la termine fourbu, parfois un peu cassé, mais certain d'une chose: c'est la randonnée d'une vie.

À 5h30, le village de Calenzana est encore plongé dans la brume. Le néon d'un petit café brille dans l'obscurité. Attablés et passablement avinés, deux habitués discutent en «francorse», le franglais local. Ils ne portent aucune attention aux deux Québécois en train d'engloutir des tartines au beurre et un café au lait.

Les locaux ne semblent pas surpris de voir débarquer chez eux, à l'aube, ces étrangers chaussés de bottes de randonnée et chargés comme des mulets. Calenzana est le point de départ du sentier de Grande randonnée no 20 - le GR20, pour les intimes. Des randonneurs, ici, il en passe donc un paquet.

Les locaux ne daigneront nous regarder qu'au moment de notre départ. À ce moment, l'un d'eux lance d'un air sceptique: «Vous le faites au complet, jusqu'au sud? Ah oui, et avec ces gros sacs!» Puis l'autre pointe dans la noirceur, vers les montagnes qui enserrent le village: «Ça monte dru là-haut. En tout cas, bonne chance!»

Mon ami Simon et moi portons chacun un sac de 30 lb. Mais dans l'euphorie des matins de départ, l'avertissement tombe à plat; ils semblent légers comme une plume.

Ce n'est qu'une heure et des poussières plus tard, le premier col franchi, que la vérité s'impose. Oui, ça monte dru. Et 30 lb? Trente livres, quand même, c'est lourd...

De 33 heures à 16 jours

Quelques heures de marche suffisent à laisser Calenzana derrière. Nous entrons dans l'immense parc naturel régional de Corse. Vite, la montagne nous capture. Pendant les prochains jours, nous vivrons chez elle: nous ne croiserons pratiquement pas de routes, plus de villages. Nos journées seront bercées par les crêtes de pierre rouge, les cols embrumés, les paysages lunaires et le sentier sinueux et caillouteux du GR20.

Après quatre heures de marche, une petite cabane se profile à flanc de montagne. Le refuge est le premier d'une série qui s'égrène vers le sud. Il est composé d'un dortoir spartiate, de lits superposés et d'une cuisine. On est loin des refuges alpestres. Douze euros la nuit. Pas de chichi.

Combien de nuits passerons-nous dans ces refuges de montagne? La question n'est pas simple. Le GR20, qui traverse la Corse par 180 km de sentiers, est réputé ardu. Le trek le plus difficile d'Europe, selon certains. Les dénivelés sont importants, il existe quelques passages plus techniques, mais dans l'ensemble, la randonnée est à la portée de tout randonneur en forme.

Par contre, les marcheurs ne prennent pas tous le même nombre de jours pour boucler le GR20. Les topoguides officiels le divisent en 16 étapes. Seize jours, donc, pour traverser la Corse. Mais plusieurs le font plus vite en «doublant» ou même «triplant» les étapes. Le record est de 33 heures.

«Moi, je l'ai déjà fait en sept jours, se targue un septuagénaire fringuant rencontré dans le sentier. Les refuges m'emmerdent. J'y passe le moins de temps possible. Je pars à l'aube et m'arrête dans la nuit. Je marche à la lampe frontale...»

Pour l'instant, on se dit qu'on le fera en 13 jours.

Beau et difficile

S'il est difficile, le GR20 est aussi grandiose. La marche en forêt est rare. Le sentier prend ses aises en hauteur, fréquente rarement les vallées. Les genoux n'aiment pas, mais les yeux adorent: on marche dans le paysage.

Vite, le rythme du trek s'impose au randonneur. Lever de bonne heure, déjeuner léger, puis départ dans les sentiers. On croise parfois un point d'eau où se baigner. D'autres fois, une bergerie haut perchée. On s'arrête pour acheter un bout de ce fromage de brebis dont les Corses raffolent. Puis on repart.

On atteint le refuge à la tombée du jour. Certains offrent, à des prix prohibitifs, des plats de pâtes pour le souper. À peu près tous tiennent une petite épicerie au stock dégarni, mais toujours fournie en bières. On en débouche une tout en consultant le topoguide pour l'étape du lendemain.

Tranquillement, le refuge se transforme en fourmilière. Les randonneurs se racontent leur journée. Il y a ceux qu'on ne verra qu'une fois: cet Allemand taciturne, ce couple d'Israéliens qui monte vers le nord, ou encore ce groupe de retraités français, visiblement au bout du rouleau, qui se chamaillent autour de la mystérieuse disparition d'une barre chocolatée - «qui a mangé ma barre Mars?» On en voit certains tenir à bout de bras leur téléphone cellulaire en quête d'un semblant de réseau. L'entreprise se conclut la plupart du temps par ces mots: «Merde, encore rien!» Dehors, la nuit s'installe. Dans les montagnes, la brume nous entoure, le ciel se décore d'étoiles. Le GR20 est une randonnée, mais c'est aussi un voyage.

On sort les jeux de cartes, on se raconte des histoires. Comme celle de ce randonneur qui s'est fait très mal la veille. Il marchait dans la deuxième étape, est tombé, s'est fracturé une jambe, puis le crâne. Son GR20 s'est achevé par un tour d'hélicoptère.

Puis il y a ceux qu'on suit. Ils vont au même rythme que nous, puis nous nous lions d'amitié. Il y a les jumeaux de Toulouse - l'un est médecin, ce qui se révèlera bien pratique. Il y a Robert, la quarantaine sportive. Il y a Patrick, l'étudiant en physique de Sherbrooke. Il y a aussi Laurent, ce Parisien qui se forgera une solide réputation pendant notre passage dans le sentier, devenant «le mec qui a abandonné sa copine dès la première journée». Longue histoire...

La petite bande marche ensemble, partage des bières, échange conseils et encouragements et, à mesure que les jours avancent, des comprimés antidouleur... Le GR20 est un sentier sournois et sa difficulté réside dans sa durée. On a beau être en forme, à moins d'être un habitué des treks, on soupçonne mal l'effet sur les articulations de plus de 10 jours de randonnée, un sac de 30 lb sur le dos. Ici, la tendinite vous guette au tournant.

Quand on arrive enfin dans le petit village de Conca, 11 jours après le départ, on s'assoit au seul café de la place. On prend un verre avec les amis du GR20 avant de se séparer. C'est le moment de ressasser les souvenirs qui ont marqué ces 10 jours de marche, qui nous semblent avoir duré un mois: cette fin de journée sous une pluie diluvienne, la fois où l'on a découvert une immense talle de délicieux cèpes, le merveilleux Cirque de la solitude...

Plusieurs randonneurs choisissent de finir leur périple sur les belles plages de Porto Vecchio. On les remarque facilement parmi la foule des estivants. Ils marchent plus lentement que les autres, parfois boitent un peu. À première vue, ils sont bien là, couchés devant la Méditerranée. Mais en pensée, ils sont loin, encore perdus quelque part entre Calenzana et Conca, dans les montagnes sauvages de la Corse, qui les habiteront longtemps.

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Repères

> Quand partir?

Longtemps négligé au profit des randonnées alpestres ou pyrénéennes, le GR20 est à la mode depuis une dizaine d'années. Il n'est pas rare que des refuges soient bondés en été, et certains sentiers peuvent prendre des airs d'autoroute. Afin d'éviter les foules, on partira en mai ou en septembre (les refuges ouvrent en mai et ferment en octobre). Juin est le mois le plus achalandé, juillet et août suivent de près.

> En combien de jours?

Certains bouclent le GR20 en 7 jours, d'autres en 16. Tout dépend de ce qu'on est venu chercher en Corse. Un défi sportif ou une longue marche méditative? Nous pensions boucler le sentier en 13 jours et l'avons fait en 11. Pour ce faire, il a fallu marcher entre 5 et 11 heures par jour. Pour boucler la randonnée en 16 jours, il faut compter de 4 à 7 heures de marche quotidienne.

> S'équiper

On ne connaît pas le taux exact d'abandon du GR20 - puisqu'il ne faut s'inscrire ni au début ni à la fin -, mais il est réputé supérieur à 50%. La plupart de ceux qui décident de ne pas terminer accusent la lourdeur de leur sac. On se contente donc d'apporter le strict minimum. Le réchaud n'est pas obligatoire, puisqu'on en trouve dans les refuges, tout comme une popote minimaliste. De bonnes bottes sont bien sûr essentielles, tout comme les bâtons de marche.

> Se loger

Faut-il se munir d'une tente et d'un matelas de sol? Puisqu'il existe des refuges à chaque étape, on pourrait être tenté d'oublier la tente. Mais au cours des dernières années, certains refuges ont été infestés de punaises de lit en fin de saison. Cette seule raison devrait convaincre les randonneurs de traîner leur tente en cas de besoin. De plus, les refuges sont parfois bruyants. Les plus gros dortoirs comptent jusqu'à 40 dormeurs, parmi lesquels, loi de la statistique oblige, quelques ronfleurs de compétition.

> Se nourrir

Les refuges offrent en saison des repas chaque soir pour une douzaine d'euros. Ceux qui préfèrent cuisiner peuvent le faire dans la cuisine commune. Entre les minuscules épiceries qu'on trouve dans certains refuges et les bergeries qui vendent fromage et saucisson, on arrive à trouver de quoi manger le long du GR20. Je recommande donc de traîner le moins de nourriture possible, de quoi déjeuner, des barres tendres et un ou deux mets lyophilisés en cas d'urgence. Les refuges vendent aussi de la bière et un vin rouge très, hum... rustique!

> Le prix?

L'accès aux sentiers est gratuit. Les nuits en refuge coûtent entre 10 et 15 euros.

> S'informer

www.le-gr20.com

www.parc-corse.org

Deux excellents topoguides existent, et il est essentiel de se munir de l'un d'eux: celui de Kristin Hausmann et celui de la Fédération française de randonnée (À travers la montagne corse en 16 jours de randonnée)