«Le joujou est la première initiation à l'art», disait Charles Baudelaire. N'est-il pas logique, alors, qu'on lui consacre enfin une rétrospective digne des plus grands artistes? À voir à Paris ces jours-ci.

Le Grand Palais de Paris accueille jusqu'au 23 janvier une exposition ambitieuse regroupant pas moins d'un millier de jouets de l'Antiquité à nos jours, de la poupée Barbie aux jeux vidéo en passant par les soldats de plomb, les billes, les toupies et le premier né de la longue lignée des Teddy Bears, créé en Allemagne en 1902. Sans oublier la première poupée parlante dont les premiers mots furent: «Je suis bien contente. Maman m'a promis d'aller au théâtre, je vais chanter, tralala...» Qui l'eût cru.

Certains sont d'une beauté exceptionnelle, des modèles uniques. D'autres ont été fabriqués en série à des milliers d'exemplaires: on reconnaîtra avec un brin de nostalgie l'une de ses premières peluches. Mille jouets, c'est énorme, mais aucun n'est là par hasard. Tous ont été choisis avec soin parmi les collections du Musée du jouet de Nuremberg, du Victoria &Albert Museum à Londres ou du Musée des arts décoratifs (qui possède une réserve de 17000 jouets à lui seul). Non, le Grand Palais n'a pas tout bonnement pris l'allure d'un vaste magasin de jouets pour quelques semaines. L'objectif de la rétrospective est de mettre en lumière l'importance de ces objets dans l'éducation des femmes et des hommes depuis des siècles maintenant.

Le coeur de l'exposition est ainsi accaparé par le rôle des jouets dans la transmission des stéréotypes. Sur la planète joujoux, il n'y a pas beaucoup de demi-teintes: d'un côté les jouets de garçons, de l'autre ceux de filles. Les trains, les avions, les guerriers ne se mêlent ni aux poupées ni aux cuisinettes. La preuve qu'au début du siècle, surtout, on veut non seulement divertir les enfants, mais aussi préparer les vocations. Les fillettes jouent à devenir mères, ménagères, secrétaires. Les garçons découvrent la mécanique, l'ingénierie, la médecine et même... la prêtrise comme en témoigne un étonnant kit de culte avec encensoir, chandeliers et crucifix miniatures, produit en 1917!

On réalise au fil des salles comme les choses ont à la fois peu et beaucoup changé: le corps de certaines poupées n'a pratiquement pas bougé depuis l'Antiquité. La question de savoir s'il faut en finir avec les jouets guerriers est toutefois plus récente. Et il y a une rupture importante entre «avant» et «après» la télévision et le cinéma, qui ont bouleversé l'univers du jouet et provoqué une spectaculaire explosion des produits dérivés. Combien de peluches d'extra-terrestre ont été vendues après la sortie du succès E.T. de Steven Spielberg? Et que dire du jouet Buzz l'Éclair (Buzz Lightyear) qui n'existerait tout simplement pas n'eût été le film Toy Story?

Sur une note plus triste, les commissaires ont eu la très belle idée de terminer le parcours sur le difficile moment où les enfants doivent renoncer à leurs chéris pour entrer dans le monde des adultes. Un passage délicat qui, découvre-t-on, était souligné par des rites de passage dans l'Antiquité grecque et romaine. La dernière scène du film Toy Story 3, dans laquelle Andy offre ses derniers jouets, roule en boucle. La poupée d'une petite fille tuée dans l'attentat du World Trade Center est également exposée. Le jouet, c'est parfois du sérieux. Et c'est toujours lourd de sens.

Dans ces conditions... on visite avec ou sans enfants? Avec, assurément. L'exposition est fort instructive, oui, mais cela ne l'empêche pas d'être ludique, grâce entre autres aux installations animées de petites vidéos et hologrammes de l'artiste Pierrick Sorrin. Ne partez pas sans avoir testé l'application qui permet de se transformer virtuellement en poupée géante! Et puis, un jouet, cela reste un jouet. Il ne perd pas de sa magie en entrant au musée. Les petits rêveront longtemps de certains modèles inusités, comme le Baby Foot Barbie. Seul hic: la liste des cadeaux présentée au père Noël risque d'être longue, très longue cette année.

Visites guidées en famille et ateliers créatifs pour les 7 à 10 ans les mercredis et samedis. Infos et réservations: www.rmn.fr