«Un, deux, trois... tirez». Une trentaine de vacanciers s'arcboutent sous un soleil de plomb pour tracter un bloc de pierre de 4,2 tonnes à la force des bras, dans un effort collectif pour mieux comprendre l'histoire mystérieuse des mégalithes de Bretagne en France.

«C'est ça, l'archéologie expérimentale: on essaie concrètement de savoir comment les hommes du néolithique ont déplacé des blocs énormes sur des distances dépassant parfois dix kilomètres», explique Cyril Chaigneau, un archéologue qui pilote le programme sur les sites de Petit Mont et de Gavrinis, dans le Golfe du Morbihan.

À ce jour, nul ne sait comment -ni pourquoi- les tribus sédentaires qui se sont installées au bord de l'Atlantique vers -5000 ont transporté puis érigé pendant 140 générations les menhirs, dolmen et autres stèles titanesques qui parsèment le paysage breton.

La quête de l'intarissable Cyril Chaigneau et de son confrère taciturne Philippe Guillonnet se concentre sur l'étonnant parcours d'une dalle du dolmen de l'île de Gavrinis, un bloc gravé de 17 tonnes qui sert de plafond au monument funéraire érigé en -3600.

Les travaux menés par d'autres archéologues ont permis d'établir que cette dalle était en fait un fragment du grand menhir brisé du site de Locmariaquer, à plus de 5 km à vol d'oiseau.

Erigé un millénaire plus tôt (vers -4800), ce menhir répertorié comme «le plus imposant du monde occidental» (25 mètres de haut, 3 m de large, 280-300 tonnes) provient lui-même d'une carrière située à une dizaine de kilomètres de là, sur l'actuelle presqu'île de Rhuys.

«Le but est de reconstituer le trajet par voie terrestre et fluvio-maritime, mais aussi de faire comprendre la préhistoire par le geste, de faire participer le public à la science en marche», explique Yves Belfenfant, le directeur des sites de Gavrinis et Petit Mont.

Selon lui, au-delà de l'engouement actuel pour la préhistoire généré par des films comme «L'odyssée de l'espèce», «il y a toujours plus de monde sur les sites quand les archéologues sont là». La fréquentation a plus de doublé en quelques années: l'an dernier, le dolmen de Petit Mont a reçu 14.500 visiteurs, celui de Gavrinis, 29.745.

«C'est impressionnant de voir bouger cette masse de pierre», commente Elisabeth, une cadre bancaire de Versailles. Amatrice de «vacances culturelles», elle a préféré participer à l'expérience avec son époux et ses cinq enfants, plutôt que d'aller à la plage.

Avec une progression de 4,40 mètres en 11»53 au premier essai, puis de 21,60 mètres en 24»16 au cinquième, l'équipe qui tire la corde arrimée au bloc progresse lentement mais sûrement.

Jérôme, un père de famille de 36 ans, est là «parce qu'il s'est toujours demandé comment les Egyptiens ont construit les pyramides».

«Pour comprendre, c'est bien mieux que l'école», dit sa fille, Valentine, 9 ans, toute fière d'avoir «fait avancer» la pierre sur des rondins et des rails de bois.

«On n'a pas besoin de forces ésotériques pour déplacer un bloc, il suffit d'un levier», souligne Cyril Chaigneau, qui table sur la pédagogie pour balayer les «pseudo-théories» de ceux qu'il appelle «les para-archéologues».

Le spécialiste, qui a déjà mené une dizaine d'opérations similaires, a programmé trois autres rendez-vous cet été, les 30 juillet, 6 et 8 août.

La première expérience du genre a été menée en 1979 sur le site de Bougon, dans les Deux-Sèvres: il avait alors fallu plus de 150 volontaires pour déplacer un bloc de 32 tonnes.