Largement occultée par la catastrophe nazie, la Première Guerre mondiale semble retrouver une place dans la mémoire des Allemands à l'occasion du centenaire comme en témoigne la multiplication de publications sur le sujet.

Contrairement à d'autres pays européens, l'Allemagne, puissance vaincue en 1918, n'organise cette année aucune grande célébration nationale pour les 100 ans du début de la «Grande Guerre».

Cependant, la chancelière Angela Merkel a inauguré mercredi une exposition sur ce thème dans le Musée de l'Histoire allemande, à Berlin. «Dans ma famille, on parlait beaucoup plus de la Seconde Guerre mondiale» que de la Première, a-t-elle confié au cours d'un débat avec de jeunes Européens organisé par le musée.

«Le souvenir de la Première Guerre mondiale est beaucoup plus vivace en France et en Grande-Bretagne (...) qu'en Allemagne où (il reste dans l'ombre) de l'horreur de la Deuxième Guerre, avec les crimes du nazisme et la culpabilité allemande», avait-elle déclaré samedi, invitant ses compatriotes à s'intéresser davantage à 14-18, en cette année du centenaire.

La chancelière doit se rendre le 28 octobre sur le champ de bataille d'Ypres, dans les Flandres, à l'invitation du roi des Belges.

L'absence de grande commémoration officielle n'a pas empêché l'éclosion d'une nouvelle curiosité pour cette période en Allemagne.

«Presque chaque maison d'édition spécialisée a sorti en automne un titre sur la Première Guerre mondiale. Les médias s'en font largement l'écho et l'intérêt des lecteurs est très grand», a déclaré à l'AFP une porte-parole de la Fédération des maisons d'édition et libraires allemands.

En témoigne le succès phénoménal dans ce pays des Somnambules, Eté 1914: comment l'Europe a marché vers la guerre, ouvrage controversé de Christopher Clark, historien d'origine australienne enseignant à l'université britannique de Cambridge.

«Nous l'avons vendu à 200 000 exemplaires et nous en sommes à la douzième réédition», des chiffres inhabituels pour ce type d'ouvrage, se félicite Meike Boehn, l'une des responsables de la communication de l'éditeur allemand DVA.

Le livre de près de 900 pages, qui a été lu par Angela Merkel, figure depuis plus de trente semaines parmi les meilleures ventes.

Se libérer de la culpabilité

Ce succès s'explique surtout, selon experts et critiques, par la thèse défendue par l'auteur selon qui l'Allemagne et l'Empire austro-hongrois n'étaient pas plus responsables que les autres nations du déclenchement de la guerre.

«Dans son argumentation, Clark efface de façon étonnamment partiale la grande responsabilité que les Allemands ont eu dans l'enchaînement fatal qui a conduit à la guerre (...) Le succès de ce livre en Allemagne trahit un besoin enraciné de se libérer des reproches de culpabilité», jugeait ainsi le quotidien libéral Frankfurter Allgemeine Zeitung.

«Les gens sont ravis. Parmi les intellectuels allemands dominait la conviction que tout nous menait à Hitler. Clark nous en libère, en nous disant ''vous n'êtes pas plus agressifs que les autres''», remarque, sarcastique, Gerd Krumeich, historien de l'Université de Düsseldorf.

Au début des années 1960, le livre de Fritz Fischer, professeur de l'Université de Hambourg, intitulé Les Buts de guerre de l'Allemagne impériale 1914-18 avait déclenché une controverse en mettant au contraire en exergue la responsabilité allemande. Ce dernier estimait que Guillaume II avait poussé à la guerre dès juillet 1914 pour faire de l'Empire allemand une puissance mondiale, ce qui aurait abouti plus tard à l'avènement du régime nazi.

Après le cinquantenaire de la Première Guerre mondiale, en 1964, l'intérêt dans la société était retombé pour ce conflit, présenté en Allemagne comme «die Urkatastrophe» --la catastrophe originelle-- et non comme la «Grande Guerre», selon l'expression française ou anglaise.

Il est vrai qu'il n'existe pas sur le territoire allemand de champs de bataille de 14-18 et qu'on trouve très peu de monuments rendant hommage aux soldats morts pendant cette période.

«Les gens étaient vraiment morts, personne ne se souvenait d'eux», résume M. Krumeich, qui note qu'actuellement les Allemands «recommencent à vouloir savoir où reposent leurs aïeux».

Un regain d'intérêt dont se fait aussi l'écho son compatriote Herfried Münkler, historien de l'Université de Humboldt à Berlin, auteur de La Grande Guerre - Le monde de 1914 à 1918. «Les gens redécouvrent des uniformes ou des insignes militaires dans leurs greniers. Ils viennent me demander après les conférences d'où ils viennent», raconte-t-il.